La rondelle est en zone neutre, elle est
reprise par Geoffrion qui la passe à Béliveau (Enwoye!) il lance... mais Bower bloque (Aïe,hi!) Mahovlich s’en empare, mais ne parvient pas à dégager sa zone, elle est
reprise par Moore qui jette un coup d’œil à Fleming à la défense (Enwoye
donc, lance donc!) puis se ravise la
remet à Richard, il s’avance, déjoue bien (ben, enwoye, enwoye!) il lance et COMPTE! (BONNN!)
Ma grand-mère
ne ratait pas un match du Canadien.
Aussi assidue et partisane que mon père, bien qu’elle ne prenait pas
toujours pour la bonne équipe. En fait,
elle prenait toujours pour les noirs.
Mon père devait parfois la ramener à l'ordre : « Ben, voyons,
grand-maman, le Canadien joue à Toronto, c’est eux autres les blancs ».
Elle aimait aussi regarder la lutte. Beaucoup plus simple à suivre. Édouard Carpentier n’avait pas assez de costumes
à changer pour la mystifier. « Enwoye, tords-y le cou » quand celui-ci
faisait une clé de bras à l’infâme Wladek ²killer² Kowalski (bou,ou,ou,ou,ou,ou!). Elle embarquait,
y croyait vraiment. Mon père essayait parfois de la ramener à l'ordre :
— Ben, voyons,
grand-maman, c’est arrangé.
— Ah! C’est pas
mon idée ça, Viateur. Y’ont l’air de trop souffrir pour faire assemblant.
Elle était
comme ça ma grand-mère. Une petite femme entêtée de 80 ans, à la peau plissée,
vidée, mais dont le fossile laissait deviner une jolie femme à l’époque, par
l’harmonie des traits et ses yeux noisette, ronds, pétillants. Une jolie femme
avec un joli caractère de chien.
Elle vivait
avec nous depuis toujours, avait sa chambre, une chambre de grand-mère avec de
vieux meubles, des cadres de saints au mur, et ses chaises berçantes stratégiquement
placées dans la maison : deux trônes réservés, un dans la cuisine près de
la fenêtre, l’autre au salon, à demi dans le passage pour ne rien manquer. Car c’était sa mission : voir à tout,
pendant qu’elle égrenait des rosaires ou reprisait nos bas enfilés sur une
vieille ampoule laissant toujours, après réparation, une cicatrice grosse comme
un cordon à nous faire boiter.
Toujours
sérieuse, toujours sévère, bougonnant sur tout et à tout bout de champ. Elle avait sûrement souri un jour, et ça
avait dû lui faire mal.
Dès qu’elle
était levée, habillée (toujours en noir, avec par-dessus un tablier pas trop
pâle) elle se mettait aussitôt sur le mode gendarme. Faisait le trafic :
« marche, par-là », « vas dans ta chambre », « rentre
dans maison », « sors de la cuisine », faisait sa ronde :
fenêtres du salon, fenêtres de la cuisine, fenêtres du passage, montait la
garde devant le frigidaire (pas le droit de l’ouvrir entre les heures de
repas)... Du travail, que du
travail!
Et quand on
n’écoutait pas, elle y allait de menaces extrêmes. Pour moi, c’était « m’as-te crever un
œil, mon p’tit verrat! », Mireille « m’as-te péser une claque, ma
bonyenne! », Paulo, « m’as-t’arracher un oreille, p’tit vlimeux! »
et on entendait ça tous les jours.
C’était sa façon de s’exprimer.
On n’en faisait pas vraiment de cas.
Ma mère, que ma grand-mère continuait encore de gourmander, était
habituée, y ayant passé son enfance. Mon
père n’y portait pas trop attention, d’autant plus qu’il était dans une classe
à part. De tous ses gendres, et même ses enfants je crois, mon père était son
préféré. Toujours gentille avec lui, toujours à prendre son parti. Viateur,
c’était le sien, un homme droit, au regard franc, jovial qui ne buvait pas, ne
sacrait pas, fumait.
Du moment
qu’on courait, criait, jouait, elle s’agitait comme un chien que le tumulte
fait japper : « Attends que ta mère arrive! », « Attends
que ton père rentre! », mais on n’avait pas que ça à faire, attendre.
Alors, on continuait et les menaces reprenaient. Elle avait beau mouliner des bras pour nous frapper,
on esquivait toujours. Elle ne voulait pas vraiment nous atteindre, ce n’était
que pour chasser les moustiques qui
l’embêtaient. D’ailleurs, elle n’a jamais
crevé d’yeux ni arraché d’oreilles à personne.
Même qu’elle pouvait s’attendrir et prendre grand soin de nous quand on
était malade. On assistait alors à une étrange métamorphose : le démon
devenant ange, les petits monstres des chérubins.
J’avais
remarqué que lorsque que je traînais en pyjama dans la journée pendant un de
mes douloureux épisodes d’otites, je n’étais plus pour elle un p’tit verrat, mais devenait comme par
enchantement son petit Charlot. Elle
avait pitié de moi, et souvent pour me consoler de ma souffrance, elle allait
dans sa chambre puis revenait vers moi pour me donner cinq cents.
(Hé,hé!)
Alors de
temps en temps je m’improvisais malade, comme ça, en plein après-midi, quand mes
parents étaient sortis. J’enfilais mon pyjama, je me faisais une face triste et
je tournais autour d’elle, pitoyable. Au bout de quelques minutes, je la voyais
partir dans sa chambre, tendais l’oreille et entendais le son de l’argent
sonnant.
Puis, je me
rhabillais pour rejoindre mes copains qui m’attendaient, miraculeusement guéri.
Redevenu p’tit verrat.
***