dimanche 2 mai 2010

À L'OUVRAGE suite et fin


Fin août

C’est demain, vendredi, que Pierre doit s’affranchir. À vingt-trois ans il partira enfin de chez lui pour faire sa vie d’adulte, vivre en appartement. Son père, un ivrogne consommé, un despote de la pire espèce, ne pourra rien devant la décision ferme et réfléchie de son fils qui a besoin de tout son argent pour faire sa vie.

- Hein Pierre, que tu déménages demain ?

- Ah, oui. Ah, oui. Cé…cé t’à moé c’t’argent-là. J’mas faire ce que j’veux avec.

- À soir, quand ton père va te demander d’l’argent, tu vas y dire que tu y donnes rien que trente piastres et pi que tu t’en vas demain. Hein, Pierre ?

- Ouin, çartain ! Cé çartain. Rien que trente piass le père, que j’m’as y dire. Rien que trente piass, pas une cenne de plus.

- Bon, ben tu vois ben qu’y va l’faire, dis-je à Montpetit.

- Pi tu le croé, toé ? me dit-il. Sacrament ! Y’é ben trop chieux pour le faire, voyons donc ! Ça fa plus qu’un an qui nous dit ça à toué mois, pi y fa jama rien.

- C’est-tu vrai Pierre ? dis-je.

- Cé… cé…. cccé…. vra, mais à soir ça… ça… va changer. Çartain, me dit-il, en regardant Montpetit.

- Dis-y, Ouellette, comment ton père te traite, tabarnak, lui cria Montpetit. Dis-y donc, comment qui te laisse d’argent par semaine su ta paye.

- Heueuueuu ! rien que douze piass, le maudit. Heuueuuueu !

- Comment? dis-je, étonné. Quoi ? C’est une farce. Douze piastres ?

- Ben oui ! douze piass, confirma Montpetit. Pi en plus avec ça faut qu’y s’achète ses tickets d’autobus. Y di reste sept piastres, stie! Comme un ti-gars d’école. Pi son père, lui, y collecte cent vingt, le porc !

- C’est pour lui mettre à banque, peut-être… risquai-je alors.

- Saint-Ciboire ! Sois pas aussi naïf que lui, me dit Montpetit. Son père c’est un ivrogne, y a pas une crisse de cenne, y a boé toute, ostie. Pi c’te grand baba-là, pointant Pierre, y attend dans l’char comme un p’tit chien que son père ait fini de boire sa paye. Au moins si y a buva avec son gars, l’sans cœur, mais non, y di défend même de mettre les pieds d’une taverne.

- Cé tu vra ça Pierre? dis-je, surpris.

- Heuueuueeuu… cé…. cé…..heuueuue…cé vra, me dit Ouellette en riant nerveusement. Même dé…ddddé…dé…fois cccé….ccé …cé moé qui
chauffe son…so..son…char pppppparpppppaarparce qui é trop saoul pour
conduire. Heuueuuue….

- Ah, ben c’est rare ! SA…CRA…MENT ! dis-je révolté à Montpetit qui acquiesça. Ça m’dépasse… Pierre, à soir, tu y donnes pas ta paye, hein ? Que cé qu’t’attends pour t’en aller de chez-vous, christ de fou !

- Y attends d’avoir d’l’argent. Comme si y pouva s’ramasser d’l’argent avec juste une couple de piass par semaine, dit Montpetit. Ça fa plusieurs fois que j’y dis que j’suis prêt à y payer son premier mois, pi y passer d’l’argent. Léo, aussi. Jacques, aussi. Tout l’monde icitte on est prêt à l’aider, pi y fa rien l’maudit sans dessein.

- Pierre, es-tu ben décidé de sacrer ton camp? Tu viendras vivre chez-nous en attendant de te trouver quelque chose, dis-je voulant à mon tour faire ma part.

- Hehhheeeuu, oui, çartain, heuueuuue….



Le lendemain je m’attendais réellement à partir avec Montpetit chercher les affaires de Pierre et l’emménager chez moi. Mais quand je le vis, le matin, rire comme un idiot, les épaules plus courbées qu’à l’habitude, je n’y croyais plus. Quand Montpetit arriva, il l’interrogea.

- Pi, Ouellette? Montre-moé donc l’argent qu’ t’as empêché ton père de t’voler ? dit-il en le narguant.

- Heuueuueheueu… Heueueueu… J’y…j’y... j’y ai dododoonndonné, mais poupoupour la dddddddernière fois. Heuuuueuueehhheeuuu…


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Fin d’été

Tout le personnel régulier revenu de leurs vacances, je fus libéré. Plusieurs de mes amis arrivaient de voyage, ils avaient tous quelque chose à raconter. Ils avaient vu le monde. Moi, je n’avais évidemment rien vu. Pourtant j’avais l’impression de le découvrir.




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