dimanche 25 mai 2014


  
Flashbacks  (suite)
 
 
 
   Des combines, un habit de neige gris en toile raide, j’ai l’air du robot dans OPÉRATION MYSTÈRE. Une éponge dans le fond du capuchon, les patins blancs de ma sœur (des patins de fantaisie, donc), je m’en vais patiner chez monsieur Dionne. Oh, pas longtemps… Le temps de faire quelques figures acrobatiques, dont un axel improvisé que je finis immanquablement sur le front.

 
* 

   Patinoire dans la cour de monsieur Dionne, autre jour. Mais cette fois, en bottes. J’ai convaincu Paulo d’être gardien de but, et je pratique mes super garnottes avec le bâton de hockey de Denis. C’est pas encore tout à fait au point. Chaque fois que je compte un but, on a toujours l’impression que c’est la reprise au ralenti… Paulo est gelé dur, c’est vrai qu’il fait froid à pierre fendre (dirait Félix Leclerc). Moi aussi je suis transi, mais la partie n’est pas finie, j’ai encore mon revers à pratiquer en comptant au moins un but de cette façon. Ce qui peut être long. 


   Fin d’après-midi d’hiver, le ciel est en feu. On sent que le soir va rapidement tout engloutir telle une marée montante. Dans un moment, nous allons rentrer morveux, les joues froides rouges à éclater, et en nous déshabillant dans cette maison chaude et éclairée nous allons sentir la tourtière que maman fait cuire au four. Le bonheur n’est jamais bien loin, et rarement compliqué. 
 

 

   Parlant de Paulo, c’est un bon public pour moi, lui. Mon cousin, Jean-Claude, est venu chez nous l’autre jour avec une guitare électrique et nous a fait quelques chansons. Pas long que je m’en suis fabriqué une, moi aussi : une planchette, un manche en bois, du fil à pêche, une boîte en carton que j’ai transformée en amplificateur, un vieux fil électrique, et on y est. Guéling, di guéling, dé guélang, je joue par oreille et de mémoire à peu près les mêmes airs que mon cousin. J’apprends très vite. Bien sûr, je fais un peu le ventriloque, mais seulement pour amplifier le son. Mon public en tout cas est impressionné, c’est ça qui compte.


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   Quand je ne sais pas trop quoi faire dans la journée je traverse chez monsieur Dionne qui cordonne… qui soulière… qui… qui est cordonnier. Je m’assois et je le regarde travailler. Il me laisse faire. On ne se parle à peu près pas. Ça sent le cuir, le vernis, la boutique, le travail : ça sent bon. Un client entre, me remarque à peine et je les écoute jaser. Ils me prennent pour un innocent. Ils ne se préoccupent pas de moi, pourtant je sens que je pourrais intervenir dans chacune de leurs conversations et leur dire des choses étonnantes… mais je m’abstiens, profitant de mon immunité infantile. Je passe pour mignon, profitons-en.


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dimanche 18 mai 2014


    Flashbacks (suite)

  

   On est dimanche après-midi, bientôt deux heures. La règle chez nous, en ce qui concerne la visite, c’est : « si vous voulez nous voir, arrivez avant, parce qu’après on est plus là. »  La plupart du temps, on partait. C’était presque un rituel, tous les dimanches après-midi, s’il faisait beau, on partait toute la famille faire un tour de machine. Pas bien loin, pas très longtemps. Juste pour la ballade en auto. Il arrivait parfois que, passant devant un petit stand à patates frites, on créait une telle pression sur mon père qu’il n’avait plus le choix. Alors on se partageait deux ou trois casseaux de frites. 

   On prenait rarement le même chemin les fois suivantes…


* 

   Une visite parfois se pointait. On voyait par la fenêtre un char arrivé : « Maman c’est mon oncle Marcel! »  Puis là, c’était le branle-bas de combat. Maman allait se passer du spray net dans les cheveux, papa plaçait rapidement le salon, nous on se sauvait dans nos chambres. Pas Mireille, évidemment. Après quelques minutes, quand la visite était installée, maman me faisait signe de la suivre dans la cuisine et discrètement me donnait un dollar : « Traverse chez madame Dionne, achète de la liqueur et des chips. Passe par en arrière! »  Elle me laissait cinq cents pour moi. Sans le dire, c’était une façon d’acheter mon silence.

 
* 

   Une belle journée chaude d’été, on est en costume de bain encore mouillé de notre baignade dans la petite piscine, et on se « balancigne ». Mon père nous a fabriqué ça : deux balançoires.   On se croirait dans un manège du parc Belmont. Comble de bonheur, on a eu droit en plus à un cornet de crème glacée. Seulement, en se balançant, ce n’est pas une très bonne idée de tenir ça. À un moment donné, j’ai perdu la boule. C’est très long enlever tout le sable là-dessus… Plus vite de manger en crachant souvent.


* 

   On marche sur le trottoir en rang. Et en SILENCE, s’il vous plaît! Toute la classe va à l’église se confesser avant la grande cérémonie de la Confirmation. Tantôt, à l’école, on s’est préparé pour la confession :

   - Ai-je menti? Si oui, combien de fois.

   - Ai-je dérobé quelque chose? Si oui, combien de fois

  - Ai-je fait de la peine à mes parents? Si oui, quand, comment, combien de fois.                                
 
   - Ai-je été méchant avec les autres? Si oui, est-ce que je le regrette?


   Et ainsi de suite. Tout le monde, la tête couchée sur son pupitre, on a fait en silence notre examen de conscience, sous les suggestions de la maîtresse. L’exercice était plutôt léger, vu qu’on n’avait pas encore couvert les péchés capitaux. L’avarice, la luxure… ce n’est pas encore de notre âge. Quand j’ai eu trouvé quelques fautes pas trop compromettantes, j’ai essayé de les mémoriser et de leur attribuer une fréquence « raisonnable ». Celle-là, trois fois. Celle-là, quatre… non, cinq, j’en ai déjà une à quatre. Ç’a été plus un exercice d’imagination qu’autre chose. 

   Rendus à l’église, on se tient en rang devant le confessionnal et on se répète mentalement la réplique.

   Arrive enfin mon tour. À genoux dans cet endroit sombre, j’attends, avec le cœur qui me débat un peu, qu’on ouvre à mon guichet. Pendant ce temps, j’écoute l’autre murmurer ses fautes sans évidemment bien distinguer les mots. Puis, me faisant le saut, le prêtre tire sur le volet de mon côté. « Oui, je vous écoute, mon enfant! » Le vouvoiement me décontenance : « Mon père je m’accuse…, euh…, euh… shit! ». Un blanc.  


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dimanche 11 mai 2014


 

Flashbacks
 


   Je rentre de l’école pour dîner. Je ramasse les trois pintes de lait laissées sur le perron par le laitier. Ça me fait penser que le boulanger aussi est passé aujourd’hui, j’ai vu maman ce matin mettre le carton dans la fenêtre. Je m’empresse d’aller ouvrir la boîte à pain, quelquefois maman se laisse tenter et achète des brioches ou des beignes au miel. J’ai bien dit quelquefois.


*
 

   Mon père est dans la cave, il répare des tuyaux. Depuis un moment, je le regarde travailler en mangeant une pomme. Il me demande :

   — Passe-moi donc la clé anglaise.

   Je regarde devant moi, il y a plein d’outils, je lui tends un genre de tournevis :

   — Ça? 

   — La clé anglaise que je t’ai dit.

   — Ça? Je lui tends une scie à fer.

   — T’as pas compris? La CLÉ ANGLAISE, là, à tes pieds.

   — Ça? Je lui tends une lime.


   Je sens qu’il va s’énerver. Tenant toujours son tuyau d’une main, il s’étire le plus possible pour rejoindre l’outil, qu’il me pointe du doigt, y touchant presque, en faisant de grands han… han…

   — Ça? Je lui tends la pince qui était dessus l’outil.

   — Là, là, concentre-toé? Gazette! Jamais j’croirai que tu fa pas exprès…

   — Ça? Lui donnant enfin, le seul outil qui restait.
 

   Le lendemain, ma mère m’a parlé. Elle m’a dit qu’elle et papa sont parfois découragés de mon « inattention ». Elle me parlait doucement, ça avait l’air sérieux, comme si on m’apprenait une maladie, une petite déficience due à mon état « lunatique ». Je décevais, c’est l’impression que j’en ai gardée et qui m’a marqué longtemps.  

   Tout ça parce que je ne savais pas ce qu’était une clé en glaise. Le saviez-vous, vous? 


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dimanche 4 mai 2014


À un ami souverainiste

 

   Tu te dis « c’est bien fini! ».  Tu ne l’auras pas encore ton pays...
 
   Mais dis-moi, te sens-tu étranger ici?  Ne te sens-tu pas quand même chez vous?  N’est-ce pas ta demeure, ta gestion, ta décoration, tes mœurs, ton mode de vie?  N’occupes-tu pas toujours ton lieu, à ta façon?   

   Ce que tu n’as pas ce sont les titres, et tu t’en sens dépouillés. Pourquoi ? Quand tu les auras, ce sera le même environnement, à peu près les mêmes obligations, au moins autant de compromis…tu ne seras pas plus libre.  Mais tu auras les titres.

   Si tu te sens vraiment différent, tu l’es.  Et si tu l’es, les autres le savent. Alors le Québec est un pays virtuel pour le monde entier.  La reconnaissance est acquise. Le Canada n’est pas tellement libre des États-Unis, et pourtant il a ses TITRES.

L’indépendance ne doit pas être l’affaire d’un parti, mais celui d’un Mouvement.

   Comme je te le dis souvent, je crois fermement que le peuple ne se trompe jamais.  Il peut être trompé, il peut regretter son choix, il peut changer… mais quand il s’exprime, c’est son choix.  Et ça, c’est indiscutable.  VOX  DEI.  Une volonté indéniable, et, en politique, la Vérité Absolue.  On peut être déçu, penser qu’il va le regretter un jour, mais on ne peut pas dire qu’il se trompe.  Même dans l’Histoire.
 

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