dimanche 8 juin 2014


 
 Victoire
 


   Mercredi, 22 juin 1960.  La tapette à Barette! La tapette à Barette! On disait ça comme ça. On ne savait pas qui c’était, ni ce qu’était une tapette. On le disait, parce que tout le monde le disait. Et surtout parce que ça rimait. C’était une formule, un genre de la, la, lèrreeuu... Toujours amusantes ces phrases-là.   Comme police pas de cuisses, numéro trente-six, on en rajoutait toujours un peu qui mange de la saucisse, à midi moins dix, on pouvait répéter ça vingt fois par jour. Pour rien, pour insulter, pour chanter, pour sacrer. On comprenait, ça rimait, et ça nous faisait rire. 

Mais Barette? Va donc savoir.


   Jean Lesage et son équipe du tonnerre venait de remporter les élections. Il était temps que ça change, semblait-il. Mon père avait suivi le dépouillement du vote à la radio, enfermé dans sa chambre comme s’il avait été malade. Ma mère nous disait de ne pas le déranger. L’heure était grave. Il y avait dans l’air une sorte d’excitation qui affectait les adultes. On ne comprenait pas. Ça nous passait deux pieds par-dessus la tête. Peut-être qu’en montant sur une chaise, on aurait senti quelque chose…

 
  Je me souviens que ma mère nous ait dit : « si votre père gagne, il va vous payer la traite, restez sages. »  S’il gagne! S’il gagne quoi? La loterie? Alors, on venait aux renseignements à tous les dix minutes : « et puis est-ce qu’il a gagné? » 


   Eh bien, ça devait être quelque chose de très important, parce qu’on a tous eu droit à une gâterie. Mon père est sorti de la chambre, nous a fait signe de le suivre chez madame Dionne, et on a pu se choisir tout ce qu’on voulait… pour cinq cents. Mon père flottait, complètement remis de sa maladie. Madame Dionne était de bonne humeur, on a failli avoir un boni. Il y a aussi monsieur Garneau qui est arrivé le sourire aux lèvres et a chaleureusement donné la main à mon père. On entendait des autos klaxonner dans les rues, comme si tout le monde défilait en même temps à un mariage.


   Qu’est-ce qu’on a manqué, nous là? Où ça, Noël? Où ça, la fête? 


   C’était le début de quelque chose, une révolution, peut-être. Tous les visages (enfin presque tous) des adultes s’éclairaient. La tapette à Barette a passé tout drette. (Celle-là est de moi, hi, hi, hi).


   On était libérés. On n’entendait que ça, libéraux libéral libéré libération.


   « Bon, si ça peut vous faire plaisir, les parents, nous on a rien contre. Puis-je avoir un autre cornet? »  Non, un c’est assez. 

 

                                   Plus ça change, plus c’est pareil!


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