Mercredi, 22
juin 1960. La tapette à Barette! La tapette à Barette! On disait ça comme ça. On
ne savait pas qui c’était, ni ce qu’était une tapette. On le disait, parce que
tout le monde le disait. Et surtout parce que ça rimait. C’était une formule,
un genre de la, la, lèrreeuu... Toujours
amusantes ces phrases-là. Comme police pas de cuisses, numéro trente-six,
on en rajoutait toujours un peu qui mange
de la saucisse, à midi moins dix, on pouvait répéter ça vingt fois par jour.
Pour rien, pour insulter, pour chanter, pour sacrer. On comprenait, ça rimait,
et ça nous faisait rire.
Mais Barette? Va donc savoir.
Jean Lesage
et son équipe du tonnerre venait de remporter les élections. Il était temps que ça change, semblait-il.
Mon père avait suivi le dépouillement du vote à la radio, enfermé dans sa
chambre comme s’il avait été malade. Ma mère nous disait de ne pas le déranger. L’heure était grave. Il y
avait dans l’air une sorte d’excitation qui affectait les adultes. On ne
comprenait pas. Ça nous passait deux pieds par-dessus la tête. Peut-être qu’en
montant sur une chaise, on aurait senti quelque chose…
Je me souviens
que ma mère nous ait dit : « si votre père gagne, il va vous payer la
traite, restez sages. » S’il gagne!
S’il gagne quoi? La loterie? Alors, on venait aux renseignements à tous les dix
minutes : « et puis est-ce qu’il a gagné? »
Eh bien, ça
devait être quelque chose de très important, parce qu’on a tous eu droit à une
gâterie. Mon père est sorti de la chambre, nous a fait signe de le suivre chez
madame Dionne, et on a pu se choisir tout ce qu’on voulait… pour cinq cents. Mon
père flottait, complètement remis de sa maladie. Madame Dionne était de bonne
humeur, on a failli avoir un boni. Il y a aussi monsieur Garneau qui est arrivé
le sourire aux lèvres et a chaleureusement donné la main à mon père. On
entendait des autos klaxonner dans les rues, comme si tout le monde défilait en
même temps à un mariage.
Qu’est-ce
qu’on a manqué, nous là? Où ça, Noël? Où ça, la fête?
C’était le
début de quelque chose, une révolution, peut-être. Tous les visages (enfin
presque tous) des adultes s’éclairaient. La
tapette à Barette a passé tout drette. (Celle-là est de moi, hi, hi, hi).
On était libérés. On n’entendait que ça, libéraux libéral libéré libération.
« Bon, si ça peut vous faire plaisir, les
parents, nous on a rien contre. Puis-je avoir un autre cornet? » Non, un c’est assez.
Plus
ça change, plus c’est pareil!
***