dimanche 22 mars 2009










Un monde gentil mais bien commercial


Le boxing day - qui en passant devrait être représenté par des boîtes plutôt que des gants de boxe (!?) - n’a plus la subtilité de nous frapper le lendemain de Noël. Non, la vente d’après Noël on nous la passe avant, on ne prend pas de chance. C’est dans le journal du 24, aux Ailes de la mode, au Centre Hi-Fi, c’est parti mon kiki, toute la journée, c’est le méga solde d’après-Noël (sic). Ça, c’est du marketing. Bah, un jour avant, me direz-vous, c’est pas si pire, ouais, mais c’est comme ça qu’on va y arriver : un jour à la fois. Et bientôt on va pouvoir retourner nos cadeaux avant même de les offrir. Extraordinaire, non ?

Noël, c’est une grosse business ; jamais vu tant d’espace occupé par ces réclames en cahier A, le cahier des grosses nouvelles, des éditoriaux, des actualités, du Monde… où tiens, justement, il y a un article de misère intitulé JOURNÉE TROUBLE EN GUINÉE, juste au-dessus de la grosse nouvelle 70 % DE RABAIS super solde chez LaBaie. Ça, c’est du marketing. Plein de cadeaux, c’est Noël.

Si, si, regardez, tout est réduit (même la qualité) : DES AUBAINES / SUPER SOLDE / VENTE D’INVENTAIRE / FAUT LIQUIDER, l’entrepôt est bourré jusqu’au plafond. Vous en voulez un, il est même gratuit… à l’achat de douze.

« Pardon, monsieur le commerçant, ça fait cinq magasins que je fais : est-ce qu’il vous reste des poubelles, des grosses sur roulettes, des corps à vidange? » Non, ça on n’en a plus. Mais on a tout ce qu’il faut pour les remplir.

AUBAINES INCROYABLES / ÉCONOMISEZ / QUANTITÉ LIMITÉE, HÂTEZ-VOUS… Ça, c’est deux propositions sémantiques qui ne vont pas ensemble, économiquement parlant. On ne réduit pas le prix sur la rareté. Normalement on l’augmente. Les chambres d’hôtel ne sont pas à moitié prix l’été.

C’est tellement ÉNORME. Avez-vous déjà acheté (souvent des vêtements, toujours des matelas) avec des réductions de 50% et même 80% sur le prix régulier ? Et, forcément il reste une marge de profit. Avez-vous déjà imaginé la marge indécente de profit sans ça ? Heureusement pour nous, les prix sont toujours réduits. Il est même impossible d’acheter un matelas au prix régulier, à moins d’en avoir un deuxième gratuit, ou un lave-vaisselle, ou je ne sais quoi…

Mais qui veut-on leurrer ? Y-a-t-il tant d’enfants qui achètent des matelas ? Toutes les propositions commerciales sont enfantines. Sont gentilles, avenantes, prévenantes.

Et moi qui chante que le monde est dur… Non, le monde n’est pas dur. Il est gentil. Tellement gentil, toujours attentionné. Plein de sourires et de poignées de main vigoureuses… autour du comptoir. Les hommes, dès qu’ils ont une cravate au cou, ils civilisent : « Bonjour, ça va bien ? » Tu tires dessus un coup : « on veut vous faire économiser », tu tires encore un autre coup : « on est là pour vous, on a pensé à vous », tu tires même pas dessus, et ça marche tout seul : « Félicitations, vous avez gagné… Voulez-vous essayer, c’est gratuit… On est dans le coin, profitez des nos essais sans engagement… C’est gratuit… On vous le donne… On en a plein d’autres comme ça, qui nous ont coûtés une fortune et qu’on veut donner à tout le monde qu’on ne connaît pas ».

Pure gentillesse. Prodigalité. Altruisme. «Notre souci : votre bien-être ».
Rien d’autres ?
Attendez… non, pas vraiment.
Attendez, je lis la réclame : …patati, patata… vous ne payez rien pendant 2 ans … pas d’intérêt, même pas les taxes… on vous donne un cadeau en plus… on vous livre gratis… Non, je ne vois pas : ça me semble tout à fait caritatif. Répandre le bonheur autour de soi. Rendre les autres plus riches. Tiens, c’est bien marqué ici : Au service des gens… votre satisfaction nous tient à cœur. On vous en donne plus pour votre argent





On vit dans un monde merveilleux. Y’a plein de gens comme ça qui font du bénévolat. Tiens, les livreurs de pizza par exemple, souvent des jeunes qui donnent de leur temps. Oui, oui, lisez par vous-même : LIVRAISON GRATUITE. Pure bénévolat. Parfois je fais un don, discrètement. Mais tout le monde n’a pas autant de cœur. Souvent les riches (toujours les riches) abusent de cette humanité. Tellement, que beaucoup de restaurateurs, sensibles à la justice sociale, offrent une réduction de 10% si vous passez ramasser au comptoir. Tous des philanthropes. Pensez, s’engager à faire un don de10% afin de permettre un meilleur accès de ce service (gratuit, ne l’oublions pas) aux plus démunis.

Non, non, le monde n’est pas dur. Ou alors avec un centre mou. On n’est pas loin du cœur, mes amis. Pas loin du cœur. Et nous, pendant ce temps-là, que fait-on ? On chicane sur des riens. L’essence à $ 1.39.

Bah! $ 1.39, on a fini par s’y habituer. Mais là, $ 1.52, WÔ!
La panique, mon vieux, à chaque fois que ça monte de 10¢. Wôô, wôô, là les stations services sévissent : on barre les pompes. Pourquoi ? C’est rendu qu’on se fait voler, m’a répondu avec franchise un franchisé. Tiens, c’est justement ce que je pensais moi aussi. Dur coup pour l’humanité. On devient voleur passé $ 1.50. À $ 1.75, on va bien mettre le feu.

C’est comme ça, chaque fois que ça monte de 10¢ il y a un peu d’humanité qui se perd. La bousculade aux pompes : tout un branle-bas pour sauver quoi ? $ 7 - $ 8, qu’on va se dépêcher d’aller dépenser pour une poutine et un coke avant de souper ? La bousculade pour un plein d’essence qui va nous durer quelques jours. Après, pas le choix, on paiera le prix, calmement, très civilement en s’envoyant des « bonjour, comment ça va ». Ça m’étonne toujours ces réactions de mes semblables. C’est pas pour faire l’important, mais je me bats jamais en bas de $ 100. Question de principe.



Ah! Quel monde incroyablement commerçant : à la télé, dans les journaux, au téléphone, dans la rue… tout ce monde toujours après moi pour me commercer quelque chose. Dès qu’on me sourit je crains le pire. Pas normal, ça. Arrêtez de vous intéresser à moi que pour mon bien. J’n'en ai plus ! Par contre, moi aussi j’ai des causes à promouvoir. Tiens, pour vous encourager je vais l’acheter votre barre de chocolat, en échange, pouvez-vous m’acheter ces crayons que je vends ? Et votre chocolat je le garde pour le prochain qui aura un crayon à me vendre. Moi aussi j’ai un petit voyage à financer, une partie de soccer (ou de golf), une petite tombola, enfin plein de projets. Moi, aussi.


Mais j’ai bien peur que sans nos petits commerces on ne s’envoie plus la main... qu’on ne s’envoie que chier.


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