dimanche 25 avril 2010

À L'OUVRAGE suite



Fin juillet

L’été semblait déjà vouloir s’éteindre. Tout ce que j’en avais eu c’était des miettes, des filets de soleil gobés aux portes de l’expédition à l’heure de notre demi-heure de lunch ou entre deux trajets d’autobus. Les fins de semaine, faut s’y attendre, il pleut toujours. Je commençais à m’installer tranquillement dans ce nouvel univers.

- Hey, Pierre, le truck d’Anjou est là. Pi y é plein. Amènes-toé un diable, viens m’aider à le décharger, avais-je crié à Ouellette.

On recevait deux ou trois fois par semaine des chargements de rouleaux de tissu. Ils venaient de Ville d’Anjou, d’une manufacture affiliée à la Eagle pour être teints ici. Fallait donc prendre les rouleaux un à un, les charger sur le diable et les emporter en arrière où sont les cuves à teinture. Cette fois-ci, on en avait certainement pour deux heures. J’aimais bien faire ce travail avec Pierre. Il était toujours prêt à s’amuser. Alors on jouait aux autos comme des débiles. Vroom, vroom, on passait en deuxième, beep, beep ! ôtes-toé d’là. Vroom, vroom, Hiiiiiiiiiiiiiiiii! On faisait des courses, on virait carré, on se dépassait, on se croisait, on faisait des accidents.

C’était vraiment amusant. Parfois Jacques venait se joindre à nous; là c’était du trafic. Par moment l’un de nous fonçait tellement vite sur l’autre, qu’à la dernière seconde, en voulant l’éviter, il dérapait et c’était une collision monstre. Souvent emboutie par le troisième qui suivait derrière à toute vitesse, la langue pendante. Le choc était considérable. Les rouleaux rebondissaient et nous étions projetés à des kilomètres plus loin. Mais on ne se faisait pas mal, on retombait toujours sur ces paquets mous empilés par terre.

Je m’entendais bien avec ces deux-là. C’était mes deux apôtres. On allait souvent prendre une bière (suivie de plusieurs) à la taverne du coin. Le vendredi soir, Pierre, qui les autres jours rentrait chez-lui immédiatement après l’ouvrage, nous accompagnait une couple d’heures. Je finissais de boire avec Jacques puis on s’en retournait à pied jusqu’au métro. On marchait un peu croche. On ne pensait pas trop droit non plus. C’était mes meilleurs moments de l’été. Engourdi par l’alcool, je me sentais l’âme d’un grand poète; c’était beau de voir la ville lentement ralentir, digérer le repas du soir sur le balcon, s’engloutir doucement dans la pénombre où l’air dégagé ne traîne plus alors que de vagues échos de cris d’enfants s’amusant dans les ruelles.


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à suivre