L’école finie, l’été pouvait commencer.
Les vacances, surtout. Mes premières. Et ça partait fort. On mettait le feu à
un gros tas de bois ceinturé de vieux pneus et on piqueniquait autour à neuf
heures du soir, la famille au grand complet assise sur une grande couverture
étendue par terre. On n’était pas les seuls, tout le quartier était dans le
parc. Chaque famille, incluant les oncles et les tantes, occupait son petit
espace sur l’herbe. Comme à la plage, mais sans mer, ni soleil. De jeunes
enfants en pyjama couraient partout, excités de n’être pas encore couchés à
cette heure-là, et encore plus de voir toute cette société si règlementée
soudainement transformée en romanichels festifs.
Et puis, juste avant que le soir parte se
changer pour la nuit, au moment où s’allument
les étoiles en veilleuses, ça se mettait à péter dans le ciel : un
bombardement multicolore, énorme, bruyant, spectaculaire.
Quelques heures auparavant, devant le
kiosque du parc, on écoutait la fanfare; tous des musiciens en tenue militaire,
soufflant dans des cuivres, tapant du tambour, trompetant, « clarinettant »,
jouaient des marches militaires, naturellement, qui faisaient tant plaisir à
maman. Elle aimait ça! Que voulez-vous? Les Beatles étaient encore à
Hambourg.
Une foule dense s’était massée autour du
belvédère; il est facile pour un enfant de se perdre dans un tel attroupement. On
laisse la main un instant, s’attardant à ramasser quelques papiers par terre ou
pour aller voir de plus près un clown, on marche sans à peu près jamais regardé
devant, trop fasciné par toutes ces choses brillantes comme les feux de
Bengale, les petits bâtons d’étincelles, les barbes à papa roses et bleues,
enfin tant de distractions dans cette mer agitée qui nous font quitter la terre
une seconde… puis quand on revient à nous, on est perdu. On ne sait plus à
quelle main s’accrocher. C’était toujours un petit moment effrayant, mais
à travers jupes et pantalons on
finissait bien par reconnaître les siens, et du coup ça nous faisait un grand
soulagement. Une petite joie en bonus.
C’est beau et simple la vie, quand même! Un
doux soir d’été, de l’innocence plein les yeux, des rires et des visages
joyeux, voilà c’est pas tellement plus compliqué que ça. Il faudra m’expliquer
un jour pourquoi les hommes s’ennuient. Pourquoi ils s’entretuent. Pourquoi ils oublient ces doux soirs
d’innocence. Faudra m’expliquer… tout ce
que je crois comprendre déjà.
Mais pas maintenant, c’est les vacances. Pas
ce soir, la vie est en fleur. Et pas
demain non plus, ce sera le défilé des chars allégoriques tirés par des
tracteurs au milieu de la parade des gardes d’honneur et de majorettes en
jupette, marchant tambour battant et jouant approximativement des airs bavarois
pour plaire à ma mère – les Beatles toujours retenus à Hambourg – et puis le
clou, un petit mouton avec un petit frisé comme un mouton (à qui on aurait pété
la gueule à l’école), nous sourira, nous enverra la main, se prenant pour le
père Noël.
Attends à demain, toé!
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