dimanche 23 juin 2013

Tirée de CHRONIQUES D'UN INNOCENT
 
La St-Jean Baptiste

           

   L’école finie, l’été pouvait commencer. Les vacances, surtout. Mes premières. Et ça partait fort. On mettait le feu à un gros tas de bois ceinturé de vieux pneus et on piqueniquait autour à neuf heures du soir, la famille au grand complet assise sur une grande couverture étendue par terre. On n’était pas les seuls, tout le quartier était dans le parc. Chaque famille, incluant les oncles et les tantes, occupait son petit espace sur l’herbe. Comme à la plage, mais sans mer, ni soleil. De jeunes enfants en pyjama couraient partout, excités de n’être pas encore couchés à cette heure-là, et encore plus de voir toute cette société si règlementée soudainement transformée en romanichels festifs.   

   Et puis, juste avant que le soir parte se changer pour la nuit, au moment où  s’allument les étoiles en veilleuses, ça se mettait à péter dans le ciel : un bombardement multicolore, énorme, bruyant, spectaculaire. 


   Quelques heures auparavant, devant le kiosque du parc, on écoutait la fanfare; tous des musiciens en tenue militaire, soufflant dans des cuivres, tapant du tambour, trompetant, « clarinettant », jouaient des marches militaires, naturellement, qui faisaient tant plaisir à maman. Elle aimait ça! Que voulez-vous? Les Beatles étaient encore à Hambourg. 

   Une foule dense s’était massée autour du belvédère; il est facile pour un enfant de se perdre dans un tel attroupement. On laisse la main un instant, s’attardant à ramasser quelques papiers par terre ou pour aller voir de plus près un clown, on marche sans à peu près jamais regardé devant, trop fasciné par toutes ces choses brillantes comme les feux de Bengale, les petits bâtons d’étincelles, les barbes à papa roses et bleues, enfin tant de distractions dans cette mer agitée qui nous font quitter la terre une seconde… puis quand on revient à nous, on est perdu. On ne sait plus à quelle main s’accrocher. C’était toujours un petit moment effrayant, mais à  travers jupes et pantalons on finissait bien par reconnaître les siens, et du coup ça nous faisait un grand soulagement. Une petite joie en bonus. 


   C’est beau et simple la vie, quand même! Un doux soir d’été, de l’innocence plein les yeux, des rires et des visages joyeux, voilà c’est pas tellement plus compliqué que ça. Il faudra m’expliquer un jour pourquoi les hommes s’ennuient. Pourquoi ils s’entretuent.  Pourquoi ils oublient ces doux soirs d’innocence.  Faudra m’expliquer… tout ce que je crois comprendre déjà.

   Mais pas maintenant, c’est les vacances. Pas ce soir, la vie est en fleur.   Et pas demain non plus, ce sera le défilé des chars allégoriques tirés par des tracteurs au milieu de la parade des gardes d’honneur et de majorettes en jupette, marchant tambour battant et jouant approximativement des airs bavarois pour plaire à ma mère – les Beatles toujours retenus à Hambourg – et puis le clou, un petit mouton avec un petit frisé comme un mouton (à qui on aurait pété la gueule à l’école), nous sourira, nous enverra la main, se prenant pour le père Noël.   

Attends à demain, toé!


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