dimanche 29 juin 2014


 


Pique-nique à Montréal

 

   Il nous a fallu traverser un pont large comme un boulevard, quelque chose qui ressemblait à un immense squelette d’acier. Celui d’un dragon sans doute mort en enjambant le fleuve. Pour ajouter au spectaculaire on suivait un corridor balisé par des panneaux lumineux indiquant des flèches vertes aux côtés d’autres de X rouges accrochés à chaque section de la structure. Impressionnant. Rien de tel à Drummondville. Ici, nous sommes dans le futur. 

 
   Puis à la sortie, on est entrés : Montréal, enfin! Nous y sommes. Déjà, rien n’est plus pareil. Des rues immenses où circule à l’étroit un trafic coincé entre ces édifices soudés les uns aux autres; mon père est concentré, ma mère nerveuse, nous excités et silencieux. Aucun espace, aucun champ vide, quelques arbres tout juste décoratifs, et du béton, et du béton, et du béton en longueur, en largeur, en hauteur. Que d’empilage, de bousculade, d’agitation : c’est la grande ville. 


   Quelle est donc cette idée de s’agglutiner?   De tant chercher à se coller les uns aux autres? Et par-dessus, et par-dessous. Je ne comprends pas, je vois tous ces gens déambuler, se croiser, marcher côtes à côtes, n’ayant de distance que dans le regard, et je devine qu’ils sont nécessairement d’une autre espèce. Des mutants, peut-être.


   Nous avons roulé, que dis-je, dérivé quelques rues, emportés comme un bâton par le courant, pour nous échouer au bord d’un parc. Le Parc Lafontaine. Rue Papineau, plus précisément, l’endroit tout désigné pour un pique-nique entre deux bancs! On est venus pour magasiner, mais comme il est midi, il faut manger. Rien n’arrête mon père quand il s’agit de dîner. Où il se trouve, suffit d’un endroit vert avec au moins un arbre et il fournit le reste : la table pliante, les chaises, la glacière, et parfois un petit poêle à naphta. Comme ici même, en plein centre-ville. Ne vous étonnez pas. Ç’aurait pu être un cimetière, ç’a déjà failli être un terrain de golf, durant une ronde! nous a-t-on raconté. Enfin, n’importe où, du moment qu’il est midi. Même dans un restaurant! Un jour, nous y sommes entrés toute la famille, occupant la plus grande table, la glacière au centre, mon père a commandé deux casseaux de frites. « Juste deux, a-t-il dit, ce sera assez, on n’a pas ben faim... »  C’est quand il a dit de laisser faire pour la liqueur, qu’on en avait dans l’auto, qu’il m’enverrait la chercher, c’est là, je crois, que le patron s’est énervé… et que ma mère en a eu assez. Elle nous a fait signe et on est tous sortis assez vite du restaurant. Finalement, c’est dans l’auto que le pique-nique a eu lieu. Dans un pesant silence.

 
   Pendant qu’on préparait à manger, je me suis aventuré sur le trottoir, m’approchant du trafic comme d’une rivière où passait un flot continu de voitures allant se déverser en bas de la côte, rue Sherbrooke. J’étais fasciné par des rails en plein milieu de l’avenue. Ce peut-il? Dans une grande ville, il y a tellement peu d’espace que les trains doivent circuler dans la rue, ai-je pensé. J’attendais le prochain. D’ici, je le verrais de près. On m’a expliqué, par la suite, que ce n’est pas un train, mais un tramway qui passait là. Et que j’attendais pour rien, le dernier étant passé il y a tout juste un an. 


   Je remarquais les passants qui nous regardaient. Un choc culturel. Chacun étonné de rencontrer l’autre. Les oiseaux se doutent bien qu’il existe des poissons, mais ils ne s’attendent jamais de les trouver dans un arbre. Parmi toute cette faune médusée (et pourtant habituée à l’insolite), j’ai vu du genre humain qu’on n’a pas coutume de voir chez nous : un cul-de-jatte sur une planche à roulettes, une vieille femme qui parlait toute seule à voix haute, des jeunes bizarrement habillés, une nouvelle mode sans doute qui nous arrivera bientôt (nous sommes dans le futur, je le répète), un quêteux, des petites Chinoises et même un nègre! Comme dans les vues. Un vrai nègre, tout noir. Un cuir complet partout sur le corps. Jamais rien vu de tel à Drummondville, je vous l’assure. 


    « Charles, ne reste pas là. C’est prêt, viens manger! », m’a crié ma mère. Je suis parti rejoindre les miens, dérangeant au passage quelques pigeons résolument citadins qui me toisaient avec cet œil rond semblant dire : « Vous êtes qui, vous autres? »

 
    On a quand même mangé au milieu de tout ce tumulte d’autobus qui arrêtent et repartent, de cris de sirènes, cigales de cité, stridulant à tout moment, au centre d’un flux continu d’autos et d’autochtones. Comme au cinéma, Mireille, Paulo et moi, avalions nos bouchées, bouche bée, les yeux rivés sur ces étranges créatures de la ville, suivant sans discrétion chacun de leurs mouvements.


    « Il ne faut pas dévisager les gens comme ça, nous a dit maman. On n’est pas chez nous. » 
 
 
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Vacances obligent, de retour en septembre...
 
 
 

dimanche 22 juin 2014


 
 
Le bonheur -101
 

   Tous les bonheurs sont égaux. L’homme le plus riche au monde ne sera jamais plus heureux que moi quand je suis heureux. Et pas plus souvent, non plus, l’exaltation est un trait de caractère. On ne se sent bien que lorsqu’on a satisfait un besoin. Un grand verre d’eau fraîche, quand on est déshydraté, qu’on a vraiment, vraiment soif, est un pur bonheur que les meilleurs vins n’ont pas encore surpassé.

   Avoir de la peine c’est avoir de la peine, il n’y a pas de raison plus ou moins suffisante; rire c’est rire, il n’y a pas plus ou moins drôle.   L’extase est intérieure, l’évènement autour ne fait que nous la révéler. On gardera un doux souvenir d’un coucher de soleil luisant sur les poubelles de la ruelle autant que sur le Taj Mahal… si on était amoureux, par exemple ce soir-là.

   Bon. Où je m’en vais avec ce cours sur le bonheur -101? C’est que je me prépare à vous présenter un non-évènement, une scène sans rien, et que je ne veux pas, en vous racontant ça, passer pour une sorte d’illuminé. C’est un de ces moments de la vie qu’on se demande pourquoi il nous revient, tellement qu’il n’y a rien de mémorable. Sa seule particularité c’est qu’il nous semble tout à fait récent et que notre âme y est restée accrochée.

*

     C’est un soir de semaine bien ordinaire, la maison est sombre : un éclairage blafard au-dessus de l’évier au fond de la cuisine insuffisant à chasser complètement la pénombre et une ampoule, une seulement, allumée parmi les trois de la lampe sur pied du salon. C’est tout. La seule autre lumière provient de la lueur bleue de la télévision; grand-maman regarde son émission, La pension Velder, assise dans sa chaise berçante. Nous sommes seuls. Tout est calme dans la pièce; la journée est terminée, la vaisselle faite, il n’y a plus qu’à se détendre dans le paisible confort de la bonne conscience.

   Depuis tantôt, je suis couché sous la table de la salle à manger, étendu sur deux chaises, et je regarde la télé à travers les barreaux. Contemplatif, silencieux, sans mouvement. Détail important : j’ai à côté de moi un grand verre d’eau.   De l’eau d’érable de mon invention. 
C’est tout. 
C’est ma soirée.

   Ça fait peut-être une heure que je suis comme ça. Contemplatif, silencieux, sans mouvement… J’allais ajouter, heureux comme un poisson dans l’eau, mais qu’en sait-on? Un poisson est à l’aise dans l’eau, mais heureux? Pas nécessairement. Je ne veux pas faire mon Prévert (gai comme un pinson…), mais je trouve, des fois, qu’on prête des états d’âme à bien des choses qu’on ne connaît pas. 

   Enfin, nous étions…

   Quoi? « L’eau d’érable de mon invention » vous intrigue? Eh bien oui, je fais, moi-même, mon eau d’érable. La recette est simple, je vous la donne :

      Dans un grand verre, vous versez de l’eau.
      Vous ajoutez 2 cuillérées à table rases de sucre. 
        (Pas combles, ça tombe sur le cœur.)       
        Vous brassez, et voilà!
      Donne une portion.

   Oh! Et aussi, j’oubliais, un ingrédient indispensable : de l’imagination. Mettez-en une bonne dose. 

   J’ai plein d’idées comme ça. Par exemple, j’en ai une qui me rendra riche un jour : de l’eau en poudre. Ré-vo-lu-tion-nai-re. L’idée m’est venue de la soupe Lipton poulet et nouilles que ma mère a préparée l’autre jour. Contrairement aux autres contenues dans une boîte de conserve grosse comme ça et pesante comme tout, la soupe Lipton, elle, est en sachet. Génial, hein?

On n’a qu’à y verser de l’eau, faire chauffer et MAGIE! On a de la soupe. Pratique pour le transport, le camping, l’espace dans les armoires, et en plus c’est super bon!

   Moi, mon idée c’est de pousser la chose un peu plus loin : de l’eau en SACHET...    Imaginez comme ce serait merveilleux de transporter de l’eau partout, sans être encombré de son poids et de son volume! Seulement quelques enveloppes qu’on pourrait plier et mettre dans ses poches.   On a soif? Pas de problème : on prend un verre, on y vide le sachet, on rajoute de l’eau et on brasse. C’est prêt! Même pas besoin de faire chauffer. Pas mal, hein!   

   Enfin… Nous étions, comme je disais avant d’être interrompu, sur une autre planète ma grand-mère et moi, ce soir-là. Un endroit quelque part dans l’univers où le bonheur est compacté au pouce cube. Je crois que si on m’avait flatté, à ce moment précis, je me serais mis à ronronner.

   Aujourd’hui encore je me demande si cette euphorie soudaine était l’effet d’une profonde prise de conscience ou de ma boisson.

    Je n’aurais peut-être pas dû prendre un troisième verre…

 
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dimanche 15 juin 2014

En reprise

La paternité, le propre de l’Homme


         Une mère et ses petits.  Quel beau tableau !  D’instinct, la femelle protège ce qu’elle enfante.  C’est un lien fort bien observable dans la nature.  Pas folle la nature, elle a prévu bien des choses : d’abord deux sexes, l'un manquant terriblement à l’autre pour qu’ainsi l’espèce se recherche.  Et puis, un sexe, UN seulement, pour reproduire l’espèce.  Un seul. Toujours le même, sinon ce serait l’anarchie.  Un seul sexe responsable de la continuité de l’espèce.  Un sexe produisant à la fois l’un et l’autre, le mâle et la femelle.  Quel est ce super sexe?  La femelle.  Eh, oui.  L’autre, le mâle, eh bien, il butine, batifole, s’amuse et fournit à l’occasion la clé de la serrure.  Mais à part ça pas grand-chose; il ronfle ou s’occupe à la guerre.    

         Voilà, en résumé le grand concept de la chose.

         Mais le tableau ne serait pas complet, enfin disons fonctionnel, si la femelle ne se transformait pas tout à coup en maman.  UNE MAMAN.  Fini la jupe courte pour séduire le gros mâle épais.  Ses attributs serviront d’abord à nourrir le rejeton.  Un lien fort, pratiquement inconditionnel, fera qu’elle protégera, du moins pour un temps, la vie qu’elle donne.  Et c’est bien heureux, car s’il fallait que son premier réflexe soit de manger sa progéniture on serait bien avancé !  Non, la Nature a prévu le coup, elle a disposé un ingrédient essentiel chez la femelle, la « maternité ».  (Non pas l’amour, arrêtez-moi ça, la maternité.  On est scientifique là, pas romantique).  Voilà pour la nature : la MATERNITÉ, et la vie continue.

         Et la paternité dans tout ça ? 
           Bah, ça n’existe pas.  C’est une invention de l’Homme.  La nature n’a pas besoin de ça. 
         Mais si la Nature n’est pas folle, l’Homme n’est pas fou non plus.  En tant qu’être conscient, orgueilleux, et j’ajouterais sentimental, l’homme, je veux dire le mâle, c'est-à-dire l’homme de l’Homme... enfin vous comprenez ce que je veux dire, n’a pas voulu être en reste et, par des liens intellectuels forts,  il a créé un type de maternité inusité dans la nature : LA PATERNITÉ.   Une relation cérébrale avec sa descendance, unique à son espèce.  N’est-ce pas merveilleux?  Plus que le sang la relation s’établit sur la conscience, la quête de l’identité, le tutorat.  N’est-ce pas un très joli tableau aussi que celui d’un père tenant la main d’un enfant marchant à ses côtés ?  La nature s’en étonnera peut-être,  trouvera ça superflu.  Pas moi. Pour une fois, je trouve que l’Homme a eu une très bonne idée pour la suite du monde : un papa.  Un PAPA,  et le petit est doublement protégé, mieux encore, diverti. La nature devrait s’en inspirer.  Voilà où je voulais en venir, mais il fallait avant tout expliquer. 

Bonne Fête des pères !

 
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dimanche 8 juin 2014


 
 Victoire
 


   Mercredi, 22 juin 1960.  La tapette à Barette! La tapette à Barette! On disait ça comme ça. On ne savait pas qui c’était, ni ce qu’était une tapette. On le disait, parce que tout le monde le disait. Et surtout parce que ça rimait. C’était une formule, un genre de la, la, lèrreeuu... Toujours amusantes ces phrases-là.   Comme police pas de cuisses, numéro trente-six, on en rajoutait toujours un peu qui mange de la saucisse, à midi moins dix, on pouvait répéter ça vingt fois par jour. Pour rien, pour insulter, pour chanter, pour sacrer. On comprenait, ça rimait, et ça nous faisait rire. 

Mais Barette? Va donc savoir.


   Jean Lesage et son équipe du tonnerre venait de remporter les élections. Il était temps que ça change, semblait-il. Mon père avait suivi le dépouillement du vote à la radio, enfermé dans sa chambre comme s’il avait été malade. Ma mère nous disait de ne pas le déranger. L’heure était grave. Il y avait dans l’air une sorte d’excitation qui affectait les adultes. On ne comprenait pas. Ça nous passait deux pieds par-dessus la tête. Peut-être qu’en montant sur une chaise, on aurait senti quelque chose…

 
  Je me souviens que ma mère nous ait dit : « si votre père gagne, il va vous payer la traite, restez sages. »  S’il gagne! S’il gagne quoi? La loterie? Alors, on venait aux renseignements à tous les dix minutes : « et puis est-ce qu’il a gagné? » 


   Eh bien, ça devait être quelque chose de très important, parce qu’on a tous eu droit à une gâterie. Mon père est sorti de la chambre, nous a fait signe de le suivre chez madame Dionne, et on a pu se choisir tout ce qu’on voulait… pour cinq cents. Mon père flottait, complètement remis de sa maladie. Madame Dionne était de bonne humeur, on a failli avoir un boni. Il y a aussi monsieur Garneau qui est arrivé le sourire aux lèvres et a chaleureusement donné la main à mon père. On entendait des autos klaxonner dans les rues, comme si tout le monde défilait en même temps à un mariage.


   Qu’est-ce qu’on a manqué, nous là? Où ça, Noël? Où ça, la fête? 


   C’était le début de quelque chose, une révolution, peut-être. Tous les visages (enfin presque tous) des adultes s’éclairaient. La tapette à Barette a passé tout drette. (Celle-là est de moi, hi, hi, hi).


   On était libérés. On n’entendait que ça, libéraux libéral libéré libération.


   « Bon, si ça peut vous faire plaisir, les parents, nous on a rien contre. Puis-je avoir un autre cornet? »  Non, un c’est assez. 

 

                                   Plus ça change, plus c’est pareil!


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dimanche 1 juin 2014


 
QUE NOS AMOURS
(Paroles et musique : Serge Timmons)
 
 
 
On naît sur un compte à rebours 
On y passera chacun son tour
Quand sortira son numéro
Du chapeau
La vie n’est prêtée qu’un instant
On a tout juste à peine le temps
De venir faire son numéro
Et rideau !
 
 
 
Un beau matin tu as dix ans
Tu te lèves en te disant :
« J’ai devant moi tout l’avenir
À venir. »
C’est à tout coup ce qu’on se dit
L’instant d’après, il est midi
Et l’on s’étonne d’être passé,
Dépassé.
 
Tu vois qu’il n’y a dans la vie que nos amours
Que nous, dans la vie, mes amis, mes amours
 
Le jour où nous serons fâchés
L’un contre l’autre, détaché
Je serai le plus malheureux
De nous deux
Bien que caché sous mon ego
Tu sais que j’aurai le cœur gros
Tu n’verras pourtant que du feu
Dans mes yeux
 
Si tu ne me tends pas la main
Je pourrais mourir de chagrin
Ne me laisse pas m’humilier
Te supplier
Sur toi, tu sais, j’ai misé gros
Tu es mon gagnant numéro
Avec toi je passe ou je perds
Et j’espère…
 
Que tu vois qu’il n’y a dans la vie que nos amours
Que toi, dans ma vie, mon amie, mon amour
 
Le reste n’est qu’illusions
Idiotes ambitions
Vanité, chimères
Le reste n’est qu’illusion
Cruelle dérision
D’une vie éphémère
                                     

                                                 Copyright © 2003  S. Timmons
 
 
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