dimanche 20 juillet 2008

Bonjour, ça va bien ?
me demande la caissière



Si vous aviez seulement pris le temps de me regarder mademoiselle, vous auriez probablement dit : « Bonjour, ça va mal ? »

Pourquoi me questionner ? Je paie et je m’en vais. D’accord pour dire bonjour, mais la question est de trop, me semble. Le pire ce sont les questions à développement, genre « Bonjour, comment ça va ? » Là, pas le choix, faut jaser.*
Voir si je m’attendais à ça ; moi qui traverse la rue quand j’aperçois au loin une vague connaissance juste pour ne pas avoir à socialiser, quitter ma rêverie, puis là tout à coup voilà ma bulle pétée, mon espace envahie. Je sors de ma torpeur. Oui, quoi ? Pardon ? Excusez ? Plaît-il ?
Une question de médecin qui tombe comme ça, qui n’intéresse même pas celui qui la pose. Même pas une formule de politesse, car c’aurait été alors : Bonjour, comment allez-vous ? Puis-je vous offrir quelque chose à boire ? Non, une question à répondre, à une caisse express bondée. Par civisme pour les autres qui attendent je marmonne un bref grondement (faut bien répondre, je sais vivre quand même).

C’est tout de même extraordinaire, j’entre dans un commerce pour la première fois de ma vie et des gens qui ne me connaissent même pas s’enquièrent de ma santé. C’est sûrement pour donner un petit côté humain au commerce, une certaine chaleur fraternelle… mais qui comptera tous ses sous à la caisse, et 10 cents est déjà une épreuve à l’amitié. Content de m’être fait de nouvelles relations il m’arrive parfois d’y retourner avec mon petit paquet et la facture et souvent, comme Rutebeuf, je me questionne « Que sont mes amis devenus ? ».

Combien de fois m’arrive-t-il d’entrer discrètement dans une boutique, m’assurant que les commis soient tous déjà occupés avec des clients et que malgré tout, chaque fois, une voix surgisse pour me crier bonjour, ça va bien ?

J’en suis toujours médusé. Je cherche d’où vient cette voix, qui est derrière, sûrement un ami d’enfance, une vieille connaissance, une rencontre fortuite que j’imagine heureuse. Je réponds, qui est-ce ? Et c’est alors que je remarque au fond du magasin un commis qui, par trop de politesse, interrompt brusquement la conversation avec son client pour réagir en réflexe conditionné à tout possible visiteur.

Je le répète, c’est extraordinaire. On ne se connaît pas, on ne se regarde même pas (enfin moi), on est à distance, chacun occupé, lui avec son client, moi à me cacher, j’ai en plus bien en évidence ma face de beu… et on s’intéresse à savoir comment je vais ! C’est tout de suite l’amitié : on ne fait pas que me saluer, on se préoccupe que ça aille bien dans ma vie. Et ça ce n’est qu’une boutique. Je peux répéter des dizaines de fois en un seul après midi. Extraordinaire, non ? Je rentre chez moi en me disant « quand même, je ne suis pas n’importe qui. Combien de nouveaux amis je peux me faire, comme ça !». Une rock star.
Merde ! Je n’ai pas pris leur nom et numéro de téléphone. Ils vont s’inquiéter si je ne donne pas de nouvelles. J’y retourne.



Ahhhh, petits vendeux, je n’en demande pas tant (les grandes retrouvailles, l’amitié, et tout ça), juste un peu de respect, un bonjour poli, et, les meilleurs jours, un visage accueillant. C’est tout.

Et je serai probablement bon client. Peut-être même un jour un ami, qui sait ? Mais faudra se fréquenter quand même un peu avant.


*****

* Je sais vous allez me dire, tu n’as qu’à répondre bien. Répondre mal est inconvenant. Répondre autre chose, faut expliquer et on n’a pas le temps. Donc la réponse doit être invariablement bien. C’est la réponse attendue. Mais si vous savez la réponse, pourquoi vous me posez la question, sacrament ? Moi aussi je peux être poli, tiens par exemple : Allez donc manger de la marde, s’il vous plaît.