Je ne vois pas
en quoi quelqu’un peut se sentir supérieur à un homme heureux.
Enfermé
Je peux rester là toute ma vie, enfermé entre
les quatre murs de cette petite pièce de rien du tout, conséquence d’une
incarcération dont je ne sais plus la cause. La folie, peut-être. Tant pis, du
moment que je suis à l’abri, je peux vivre isolé du monde pour toujours. Je me
vois très bien passer le reste de ma vie ici. De confort pas besoin. Des autres
pas besoin, non plus. Du monde et de ses splendeurs, je m’en passerai. J’ai ma
tête. C’est tout ce dont j’ai besoin. Ma tête, folle d’imagination. Et mon cœur
capable de tant d’émotions.
Ne pas
souffrir, c’est tout ce qui compte. Je peux m’occuper d’un rien. Je peux passer
des heures, des jours, des années simplement à regarder couler l’eau. Ces
gouttelettes sortant du robinet, je les identifie, une par une, leur donne vie,
je les suis dans leur descente jusqu’au fond du lavabo; un mouvement, ici ou
là, voilà tout ce dont j’ai besoin pour occuper mon esprit. Un mouvement, juste
pour me savoir toujours vivant. Tiens, cette petite araignée-là, je m’en ferai
une amie. Elle doit déjà se douter qu’on sera copains, car elle reste là, à ma
vue, ne cherchant pas à se cacher, comme tant
d’autres le feraient. Ou alors, c’est qu’elle a la conscience tranquille. Ça
adonne bien, moi aussi. On sera amis.
On vieillira ensemble. On se partagera cet
espace minuscule. Il y a de la lumière, de l’eau, une cuvette, tout ce qu’il
faut pour vivre tranquille, seuls, loin de toutes contraintes et de toutes
menaces. Juste plus grand qu’un tombeau, pour pouvoir marcher un peu. C’est
parfait. Ils peuvent la lancer leur bombe atomique. Elle peut bien péter et
toute l’humanité disparaître; je fus et je suis. Trop tard! Ma conscience a maintenant
pris conscience.
Ils vont bien finir par nous la faire sauter
cette bombe. C’est prévu. On ne peut pas laisser les hommes avec une telle
puissance et espérer qu’ils ne s’en servent pas. Ils aiment la guerre. Ils
aiment gagner. Ils feront la guerre pour la gagner. Ils vont nous la péter, c’est sûr. D’ailleurs,
c’est peut-être déjà fait.
– Charles, vas-tu bientôt sortir de là, ton
petit frère a envie. Ça fait une demi-heure que t’es enfermé là-dedans. Es-tu
passé par le trou?
***