Dans la série des CHRONIQUES DU PLOMB SAUTÉ
Ne me parlez pas d’amour
Surtout pas avec vos grands
yeux pénétrés de vénération. En cette matière aussi, je pratique une forme
d’athéisme. Cette sacro-sainte aspiration ne me paraît qu’une pulsion sexuelle bien
involontaire et pratiquement incontrôlable. Vous ne voulez pas aimer, vous
aimez pareil; vous voulez bien aimer, vous haïssez quand même... de façon
refoulée.
De plus, et c’est bien ça qui
me tarabuste, c’est une quête purement égocentrique, narcissique, égoïste,
travestie, bien sûr, comme une pute en bonne sœur. Bref, pour moi, c’est caca,
pas loin du délire, de l’obsession, du désordre mental, émotionnel, dangereux. Surtout
pour l’autre. Au bout de l’amour, c’est
la haine. C’est la même charge fanatique. Ça supporte mal la contrariété. Tenez-vous
à distance de ceux qui en cultivent à l’excès.
Fuyez-les comme certains assassins.
« Mais si
je t’aime, prends garde à toi » Carmen, de Bizet.
Pouvez-vous imaginer aimer
quelqu’un et le laisser sortir de votre vie.
Non, on l’aimmmme. On veut le garder au cœur de sa vie. On s’y accroche,
on s’y attache, on le tient serré. « T’es mon amour », ça veut dire
t’es à moi. Dans cette phrase « Je t’aime », je ne vois pas le beau
sentiment. C’est le « Je » qui trahit tout de l’altruisme. C’est le « t’»
qui me fait peur; comme dans « tue » : Tu m’aimes-tue? Le grand Amour est à deux doigts de la
haine.
Ne me parlez pas d’amour.
Mais parlez-moi de beauté, de
poésie, de tolérance, de chaleur humaine, d’affection, tous ces beaux
sentiments où votre « je » n’arrive pas en premier. Le bel élan
altruiste je le vois plus dans la recherche de l’harmonie, la paix, l’ouverture
à l’autre. Voilà ce que je conviendrais de célébrer davantage.
Mais l’amour, l’amour,
l’Amour, bon Dieu! ce n’est rien d’autre qu’une envie de se mettre… important
aux yeux de l’autre. Vos grands débordements me troublent. Un esprit comme le mien y voit tout de suite une
érection gênante, intempestive, qui réclame davantage un élan du poignet qu’un
élan du cœur. J’en ai-tu aimé moi des filles sur papier glacé, que d’intensité
dans mon amour, que d’ardeur dans mes élans.
Je n’avais d’yeux que pour elles, mon plus grand intérêt, ma promise,
mon… ma… ahhhh! Et puis, je redevenais
soudain paisible et laissais enfin libre l’objet de mon amour. Je dis que
l’Amour qu’on ressent pour l’autre c’est
la même branlette de son amour-propre.
Ne me parlez pas d’amour. Mais
vous pouvez me parler d’amitié par contre.
Beaucoup d’amitié.
Bonne St-Valentin, quand même!
Aux amoureux égoïstes qui s’aiment si tendrement.
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