Il y a des
mots d’une douceur infinie. Des mots qui nous font aimer la vie : maman,
sourire, enfant, maison...
Maison, tiens, il y a tout dans ce vocable :
chaleur, univers, enfance. On revient d’une dure journée comme d’un long voyage,
et dès qu’on aperçoit notre maison, c’est maman qui nous tend les bras.
J’ai habité
seulement quelques années une maison qui m’habitera toujours. Encore
aujourd’hui, c’est mon espace vital, un temple sacré abritant mes plus doux souvenirs.
Je la vois en photo et ça a l’effet de mon premier amour.
Regardez cette large galerie qui la borde sur le côté, c’est en fait le pont
d’un navire. Durant les journées de pluie on y prenait l’air, marchant de long
en large ou s’installant dans des chaises, une petite couverture sur les
genoux, pour contempler la mer, toute cette flotte drue qui coulait des toits,
dans les entrées, dans les rues où passaient les autos comme des petits bateaux
traînant leur sillage dans de longs flouch!
En arrière,
au deuxième, donnant sur la cour, voyez cette grande fenêtre guillotine, c’est
par là que le monde entrait dans ma chambre, une mince moustiquaire pour me
protéger de la nuit collée à ma fenêtre où passait le souffle d’une ville endormie. Les matins d’été, émanait de cette bouche
grande ouverte au pied de mon lit, l’épaisse haleine chaude et humide de
juillet.
Dans cette
chambre austère c’était la seule attraction, sinon qu’un vieux lit de métal,
une commode antique provenant d’une obscure vieille tante, un crucifix (de trop
de ma grand-mère) au mur, et une ancienne glacière de bois couleur crème, un
meuble énorme qui était là parce qu’ailleurs on ne le voulait pas. S’il n’y
traînait pas quelques jouets, on aurait pu se croire dans la chambre d’un
séminariste.
Et notre cour sans arbres,
sans fleurs, bornée d’un côté par le mur de tôle rouillée du garage et le flanc
d’un hangar rapiécé de l’autre. Une clôture de broche au fond pour nous séparer
du champ de blé d’Inde expérimental du voisin d’en arrière. Au centre de tout
ça, un semblant de gazon clairsemé au travers d’une terre rocailleuse. Un
endroit idéal pour une cour à scrap.
Un paradis.
On ne pouvait rien détruire davantage; on pouvait
lancer des balles, des ballons, des roches partout, on pouvait courir,
piétiner, courser en brouette, installer des planches pour monter des cabanes. Un
véritable terrain de jeux. On pouvait faire ce qu’on voulait du moment qu’on se
lavait en rentrant.
Je parle d’un
débarbouillage. Parce que pour le gros lavage c’était le samedi seulement; on
n’avait pas de douche, pas de bain, pas d’eau chaude, pas de cuisinière pour
chauffer la bouilloire, qu’un poêle à bois. Mais on avait du bois. Du vieux
bois.
Vraiment une
maison sur mesure pour l’imaginaire d’un enfant en quête d’aventures… et aussi,
hélas, l’imagination des parents en quête de changements. Car c’est bien là le
drame, le désir d’être à la mode; dès qu’un nouveau meuble entrait dans la
maison, de nouvelles restrictions s’y ajoutaient : pas le droit de s’en
servir, un nouveau tapis, pas le droit de marcher dessus avec ses souliers, une
nouvelle peinture, pas le droit de mettre ses mains sur les murs, des souliers
neufs, pas le droit de les salir (ça, c’est très difficile, à moins de les
mettre seulement pour dormir). Tout nouveau, tout beau. Tout beau, tout défendu.
Il fallait attendre le premier malheur, comme une brûlure de cigarette, pour
qu’enfin l’objet devienne utile. Heureusement, ça n’arrivait pas trop souvent,
je parle d’achats de choses neuves et modernes. On pansait avant de dépenser. Le
reprisage et le rapiéçage faisaient office de garantie prolongée. « C’est
encore bon », disait mon père, et parfois l’objet lui-même n’en revenait
pas.
Aujourd’hui
on n’accorde pas autant de valeur aux choses, et je crois qu’une sorte de
respect s’est ainsi perdu.
Une vieille
maison sans luxe ni confort, suffisamment chaude l’hiver, voilà bien tout ce
qu’il faut au refuge d’un enfant heureux.
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