dimanche 21 février 2010

JOUR DE BUANDERIE
Satire


Tableau I

Funestes cent fois ces jours où, dru dans la crasse,
De cent mille maladies tout mon linge me menace,
Et ne servant plus qu’à me couvrir d’opprobre
Me conduit en ces lieux nous venger des microbes.
Ma conscience, pourtant si aisée à distraire,
Souffre mal cette loi mais ne peut s’y soustraire.
Aussi donc une fois semaine je me hasarde
À la buanderie pour y laver mes hardes
Mais quelle porcherie ! Un véritable égout.
On y verrait des rats, s’ils n’en avaient dégoût.
Parole ! Mes amis seront là pour le dire,
Même chez moi, avant, ce ne fut jamais pire.
Car il y eut un temps, oui c’est vrai, je l’avoue,
Ce n’était pas trop propre, ni trop sain chez nous.
Quelques araignées, fourmis et autres vermines
Y trouvaient gîte, franches lippées, concubines.
Le désordre propice à tant d’écartements
Me faisait tout perdre, même un appartement.
Mais en locataire de mansarde averti
À l’austère hygiène je me suis converti.
Maintenant c’est rangé, tout est net et tout brille.
Mes chambreurs sont partis, on y trouve une aiguille !
Mais, ici, tout est noir ; on blanchit mais en vain.
Jamais on ne se lave sans salir le bain.
Pendant que les taches se mesurent aux enzymes,
Que le linge fouetté par l’eau secoue les machines,
Aux rebords du couvercle se gonfle une broue
De savon mêlé de crasse, et qui peu ou prou
Sur le plancher, lentement mais salement, glisse
En laissant sur les parois de longues coulisses.
Par terre, la lavure en rigoles serpente
Se verse dans la flaque au plus creux de la pente.
Les tuiles déteintes, rongées par l’érosion,
Se décollent par morceaux ou se fendent en lésion.
Des nuées de boucane s’étirent dans l’air humide
Où montent des vapeurs et des odeurs fétides.
Dès qu’un sac se dénoue, d’abord comme un ressort,
Avant même le linge sale le remugle en sort
Et part se conjuguer à la transpiration.
Tous verdissent dans la pièce de ces émanations.
Sauf un aveugle enrhumé se détendrait, mais
Il lui faut regretter de n’entendre jamais.
Ça jacasse, ça pète, ça pleure et ça claque.
Murs, fenêtres, machines vibrent, craquent.
Bang ! Bang ! Encore bang ! Et bang encore ! Je prie.
Je me mâche les doigts pour avorter un cri.
Une grosse, à grands fracas, obstinée et brutale,
S’enrage à mal fermer un couvercle en métal.
À tout ça, se mêlant aux sourds vrombissements,
Comme des milliers d’échos venant incessamment,
On ouï des bonn’femmes les cris, les ordres aigus,
Les jurons et les orages de coups de pied au cul.
L’enfant brutalisé autant que les engins
Au désespoir inlassablement cille et geint.
On voit des mères dans un débordement pareil
Tirer de chaque côté, un panier, une oreille.
Dans ces endroits désolants que n’ai-je pas vu ?
Que de têtes déplorables ont troublé ma vue !
Que de bruit, que d’agitations m’ont tourmenté !
Que de mères se sont plaintes et d’enfants lamentés !
Tant de remous m’agitent qu’enfin pour m’en défaire
Oyez et voyez ce tableau que j’en vais faire.


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