dimanche 21 avril 2013


COUP DE VIEUX

 

   Quand j’ai réalisé mon âge, c’est comme si je venais d’apprendre que j’avais le cancer, que maintenant mes jours étaient comptés. Ce fut un choc. Je ne m’y attendais pas, je vous le jure.  C’est bête, mais je ne m’étais pas préparé.  Je pensais avoir trente ans.  C’est en remplissant un formulaire sur le web, quand j’ai reculé, reculé, reculé la date de naissance proposée avant de faire « enter », que j’ai eu un doute.  J’ai couru dans la salle de bain me regarder dans le miroir et je n’ai pas vraiment rien remarqué.  J’ai demandé à mon jeune de venir, puis c’est là que j’ai vu le vieux monsieur à côté de lui.  C’est donc vrai.


   Une date de naissance, un miroir, c’est ça soixante ans.  Rien que ça.  C’est presque décevant. Pas plus sage, pas moins en forme qu’on l’était ou ne l’était pas à trente ans.  On a besoin de lunettes, oui bon, mais à vingt ans les myopes aussi.  On a l’oreille plus dure et le sexe plus mou, oui bon, mais dans les deux cas on fera répéter, c’est tout.

 
   On ne se sent pas vieillir, et encore moins quand on est entre nous, la même bande de contemporains.  Je ne parviens pas à rejoindre ma sœur aînée; mon frère cadet se pense toujours plus jeune que moi.  C’est comme ça.  On se sent vieux que quand on nous le dit avec une certaine conviction.  Alors, on déprime un peu, on constate le stade avancé de son « cancer ». Vieillir, c’est notre désastre naturel. Il faut faire avec. Très tôt, on est chassé de l’enfance comme du paradis terrestre, et de décennie en décennie, c’est l’ÎLE qu’on voit s’éloigner d’un navire en dérive.     


   Bien sûr, il y a un état pire que la vieillesse : la maladie.  La souffrance n’a pas d’âge, voilà au moins une certaine justice.  Si on en faisait aussi un critère de sélection, on aurait, au final, d’une part ceux qui vont mal, et de l’autre ceux qui vont bien.   Alors, allons bien, à défaut d’aller jeune.  Pour l’instant encore, je suis de ceux qui vont bien, je m’en console... 
Et je constate que dans mon groupe, il n’y a pas tant de jeunes que ça!


   Vieillissons, puisqu’il le faut, vieillissons, mais jeunement.



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