dimanche 28 décembre 2014


 

La Bénédiction




   Jour de l’An, direction Cowansville, chez grand-papa Sullivan. Dans l’auto, je me repasse les commandements. C’est quoi encore?

   - On ne court pas dans la maison.

   - On salue le monde en arrivant et en partant.

   - On se lave les mains avant de manger, et on dit merci quand on est servi.

   - On n’achale pas le chat. Puis on ne fait pas japper le chien pour rien, on le laisse tranquille.

   - On ne parle pas, et surtout, on ne rit pas pendant la bénédiction paternelle.

   - On dit « Non, merci » quand on nous offre quelque chose. Si on insiste, on en prend un. UN. On ne vide pas le plat.

   - Quand on reçoit des becs des matantes on ne s’essuie pas la joue énergiquement tout de suite après.
 
    - On évite de jouer avec le petit Réal, il est tannant lui, il pense juste à faire des mauvais coups.
 
    - On ne dit pas fort et à tout bout de champ « On s’en va-tu? »
 
    - On ne joue pas dans son assiette. Si on n’aime pas ça, on dit qu’on n’a pas faim, on ne dit pas ouache! Pis si on n’a pas faim pour manger le repas, on n’a pas faim pour manger le dessert, non plus.
 
   Combien ça m’en fait? Dix. C’est bon, on arrête là.

   La famille de mon père ce n’était pas celle qu’on voyait le plus souvent. On avait plus tendance à dire « monsieur », « madame », plutôt que « mononcle », « matante » quand on les visitait. C’était comme ça, on voyait plus souvent la famille de maman et on les préférait : on se sentait plus près d’eux, on habitait la même ville, on partageait le même genre de vie. Tandis que du côté de mon père c’était pour l’ensemble des cultivateurs, des gens de la campagne qui habitaient dans les rangs. Plus folklorique comme approche, disons. 
    En arrivant, on pouvait prendre une heure à dégeler. Trois piquets bien droits; on passait pour des enfants bien élevés (même moi). Mireille, pourtant de nature si sociable, me paraissait plus maniérée qu’à l’aise quand elle se mêlait aux autres.

   Comme on s’était pointés à peu près juste à temps pour le dîner, on est donc passés à la table assez vite. Et là, moi qui suis si difficile, je me suis régalé. Grand-maman Sullivan était un véritable cordon-bleu : ragoût de boulettes exquis, soupe aux pois à se jeter par terre, beignes au sirop d’érable à virer fou, sucre à la crème à rendre malade… Je n’avais jamais mangé rien de si bon. 

   Après le repas, les hommes parlaient de politique. Forcément, puisqu’ils criaient plus qu’ils discutaient. Les femmes faisaient la vaisselle pendant que nous, les enfants on s’exclamait devant l’arbre de Noël géant. Comment ils ont pu entrer ça dans la maison? C’est impossible.

   — Duplessis, c’éta un dictateur! Y nous écrasa.
   — Pas vra! C’éta un homme qui se tena deboutte. C’est notre sauveur à nous autres, les Canadiens-França.

   Les esprits s’échauffaient : certains devenaient rouges, d’autres tombaient dans les bleus. Grand-maman, la vraie chef du clan sans le titre, est intervenue pour calmer le jeu :

   — Bon, ça va faire les ti-coqs. Vous allez me tasser les meubles, pis vous autres, les musiciens, allez chercher vos instruments, ce monde-là veulent danser.

   Puis, en un rien de temps, l’atmosphère avait changé, on s’est retrouvé soudainement au milieu d’une soirée canadienne en plein après-midi. Une grosse matante était au piano, un mononcle ti-coq bleu au violon, un mononcle ti-coq rouge à l’accordéon, et mon père dans tout ça, planté au milieu, sérieux comme un pape, callait le set carré. 

Saluez votre compagnie!
Amenez-la jusqu’au centre,
Les femmes au milieu,
Les hommes autour,
Changez de côté,
Vous vous êtes trompés,
Reprenez votre compagnie,
Tout l’monde balance
Et pis tout l’monde danse…

   J’étais cloué sur ma chaise. Au début, j’ai presque eu peur. À voir tous ces hommes taper du talon, crier la tête renversée par en arrière, j’ai cru voir des sauvages tourner autour d’un feu, encerclant les femmes comme des sacrifiées. J’étais sidéré. Ça me paraissait terriblement compliqué, mais ils avaient tous l’air de savoir quoi faire et de follement s’amuser. Des couples rentraient, d’autres débarquaient, et le reel repartait.

   Une matante s’est approchée de moi avec un plat de sucre à la crème :
   — En veux-tu un, mon petit garçon?
   — Non, merci! ai-je dit poliment.
   — Ah, bon!
   — Non, non, attendez. Vous n’insistez pas?
   — Oui, j’insiste, qu’elle m’a dit en se mettant à rire.

   J’ai regardé maman qui ne me regardait pas, et j’en ai pris quatre.
   — Merci. Vous repasserez, hein?

Saluez votre compagnie!
Amenez-la jusqu’au centre,
Les femmes au milieu,
Les hommes autour,
Changez de côté,
Vous vous êtes trompés,
Reprenez votre compagnie,
Tout l’monde balance
Et pis tout l’monde danse…

   Après une heure, Mireille et moi on n’était plus capables. Paulo, lui, dormait avec le chien sous la table de la cuisine. J’ai été voir maman et je lui ai glissé à l’oreille : « On s’en va-tu? ». Oui, oui, elle m’a dit, dès que grand-papa nous aura donné la bénédiction. Heureusement, peu de temps après, les musiciens fatigués ont décidé de prendre une pause et c’est à ce moment que la plus vieille des sœurs de mon père est allée demander au patriarche : « Papa, voulez-vous nous bénir? »

   Alors il s’est levé en prenant un air solennel. Tout le monde s’est approché et s’est mis à genoux devant lui. Il a tendu les bras au-dessus de nous, et comme un grand manitou a marmonné en anglais, en français, en latin quelques incantations que tout le monde a reçues en disant « Amen » et en faisant un signe de croix. Puis, tout le monde s’est embrassé et souhaité « Bonne Année! » 

   C’était le temps. Ma mère a fait signe à mon père, et on a compris qu’on pouvait aller mettre nos manteaux. On partait alors que d’autres quadrilles se formaient et que ça reprenait de plus belle. 

   Au retour, dans l’auto, je sentais mon père heureux, tout rayonnant de bénédiction, pendant que je m’imaginais revenir d’un pays lointain.


***


Petite pause.  De retour en 2015, quelque part en février.
 
BONNE ANNÉE !
 

dimanche 21 décembre 2014


 

 
Vive le vent d'hiver!
 
 

   On avait l’air de trois petits bonshommes de neige qui débarquent dans la maison. Une tempête de neige! On ne pouvait pas manquer ça.

   – Marchez pas avec vos bottes en d’dans! Allez-vous s’couer dehors, nous a crié maman en passant d’un pas rapide, une pile d’assiettes dans les mains.
 
   – Là, vous trois, vous allez aller faire un p’tit dodo, parce que ce soir vous vous couchez tard, nous a dit grand-maman pendant qu’elle déneigeait mon petit frère, Paulo.

   Même qu’on ne se couchera peut-être pas du tout, la messe est à minuit. On avait déplacé les meubles, aligné des chaises, allongé la table, installé des guirlandes en papier rouge et vert au plafond, il y avait une dinde au four. Vraiment, on ne se couchera pas de sitôt. À la radio jouaient des airs de Noël entrecoupés de bulletins météo.

Une tempête de neige fait présentement rage sur l’ensemble du Québec. Au moins dix pouces de neige sont tombés jusqu’à présent. De plus, à certains endroits, d’importantes accumulations se sont formées par les violentes rafales notamment sur la région de la Mauricie rendant plusieurs routes impraticables. La police provinciale avise la population de redoubler de prudence et d’éviter d’emprunter les routes secondaires.

Nous reprenons le cours de notre émission LES BEAUX CHANTS DE NOËL, et vous reviendrons avec un bulletin plus détaillé dans la prochaine heure. Merci de demeurer à l’écoute... « Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver qui s’en va soufflant, sifflant dans les grands sapins verts… » entonnait le chœur des Petits Chanteurs de l’Estrie.

   – Eh, que ça tombe mal! Germaine viendra pas, c’est sûr. Ils partiront pas de Québec dans une tempête comme ça. Appelle donc, voir! demandait ma mère à mon père.

   – Julien, non plus, je croirais ben, a rajouté grand-maman, le connaissant, il est assez peureux. Et pis Montréal, c’est pas à la porte, non plus.

   – Ouais, ben! On va slaquer su lé sandwichs, a rétorqué mon père, pragmatique.

   Dommage que ce soit si dérangeant, c’est tellement beau, pensais-je, en regardant le blizzard par la fenêtre. On ne distinguait rien à trois maisons de nous, ça aurait pu être l’océan derrière ce nuage opaque décroché d’un ciel trop sombre pour une fin d’après-midi. Par moment, en bourrasque, le vent venait siffler dans les fenêtres mal isolées en faisant des fffwwouiiiiiii  des fffwwwaaa, cognait quelques coups dans la vitre pour nous faire peur, puis repartait tourbillonner sur les bancs de neige. C’était vraiment excitant. Comment m’endormir au milieu de cette mer déchaînée?

   En bas, ça bougeait. Des bruits de vaisselles, de meubles tirés, de téléphone qui résonne à tout bout de champ au travers des chants diffusés à la radio. Comment m’endormir dans toute cette agitation inquiète et malgré tout heureuse?

   Je n’avais pas eu à me poser la question une troisième fois, je me réveillais. J’avais déjà dormi presque trois heures. J’ai descendu l’escalier en vitesse, espérant n’avoir rien manqué.

   – Tiens, t’es levé toi! Va t’habiller, ils vont arriver bientôt, m’a tout de suite ordonné ma mère.
   – Mireille, elle? (Un automatisme)

Elle était déjà debout, déjà habillée (en princesse, évidemment) et aidait à mettre la table. Je me suis repris :
 
   – Paulo, lui?
 
    Il était dans le salon, habillé lui aussi, en train de manger une collation. Bon, si personne ne coopère, je vais donc aller me changer.

   Le vent maintenant était tombé. Il neigeait encore pas mal, mais on pouvait voir au travers les mailles du rideau. Justement, j’apercevais mon père en train de déneiger encore une fois l’entrée.

   Dans la maison on ne respirait plus sans avaler en même temps une part de tourtière, un fumet de dinde rôtie, quelques vapeurs d’un ragoût de pattes. C’était carrément envahissant, presque du bruit. J’avais du mal à me concentrer sur autre chose. Je devais, par exemple, m’approcher à deux boules du sapin pour enfin saisir, comme un doux murmure à l’oreille, sa discrète et suave émanation.

   Tout le monde endimanché attendait la visite avec cette petite nervosité agréable de vouloir être à son meilleur. Nous, les enfants, on était collés à la fenêtre, scrutant le moindre mouvement qui pouvait ressembler à une auto tournant au coin de la rue. Ils ne devraient plus tarder. À tour de rôle, on se relayait le temps d’aller gober un poisson rouge à la cannelle ou une tuque de chocolat dans les petits plats de verre taillé déposés sur le buffet.

   Il neigeait toujours, mais juste pour la beauté de la chose. Pour faire carte de Noël avec toutes ces guirlandes illuminées des maisons sur la rue. Soudain, une voiture a ralenti devant la maison. Ça y est! La visite. Mon oncle Julien (le peureux?), était le premier arrivé. On y distinguait ma tante Carmen et nos deux cousines, Julie et Francine dans l’auto. Des grandes cousines. Pas bon, ça! C’est les autres qu’on a hâte de voir. Dès qu’on a sonné à la porte, Paulo et moi, on est parti comme des balles nous cacher au fond de la cuisine. On riait, on criait, on faisait les sauvages, pendant que Mireille allait gentiment leur ouvrir la porte.

   À toutes les dix minutes maintenant, ça sonnait. Et à chaque coup, Paulo et moi, on se mettait à hurler comme des loups. On ne sortait pas de la cuisine. Planqué derrière le poêle, j’envoyais Paulo nous ravitailler : apporte-moi des jujubes! Des rouges! Et je restais là à épier les allées et venues de mes oncles et mes tantes dans le passage qui mène à la toilette. Mais, la plupart du temps c’était maman que je voyais passer les bras chargés de manteaux pour aller les étendre sur nos lits.

   Au bout de quarante-cinq minutes, ma mère, qui avait fini par oublier notre existence, nous a remarqués en venant dans la cuisine préparer le plateau des liqueurs.

   – Qu’est-ce que vous faites là, vous autres? Allez saluer vos oncles et vos tantes, qu’elle nous a dit en remplissant les verres.

   – Matante Juliette est-tu arrivée?

   – Ben oui, ils viennent d’arriver.

   – Jacques est-tu là?

   C’était le seul cousin de mon âge que j’avais envie de voir. Quand ma mère a acquiescé, j’ai fait signe à Paulo qu’on pouvait y aller. C’était le temps… sinon on manquait la liqueur. On est entré dans le salon sous les oh! et les ah! comme ils ont grandi! Exactement ce qu’on redoutait : l’eau froide qui vous mord l’orteil. Mais bon, fallait se saucer à un moment donné. Je m’étais tout de suite dirigé vers Jacques et tous les deux, habillés comme des vendeurs de tapis, on ne savait pas trop quoi se dire :

   – Salut!

   – Salut!

   Maman passait le plateau : du coke, de la liqueur fraise et orangeade. Mon père offrait des bières à mes oncles. Toute la visite assise bien droite sous trop d’éclairage parlait évidemment de la température et des routes impossibles qu’elle avait dû prendre pour se rendre jusqu’ici. Ça faisait beaucoup de monde qui parlait tous en même temps, riait, s’examinait. J’ai amené Jacques dans la cuisine pour qu’on puisse échanger un peu.

   – Qu’est-ce que t’as demandé à Noël? dis-je.

   – Un train électrique. Toi?

   – Plusieurs affaires : un camion de pompier, des minibriques, un jeu de hockey, une ferme miniature, une carabine à air, une ceinture de cowboy et… moi aussi, un train électrique. (J’avais le goût d’impressionner). On a jasé longtemps, comme ça, en gens du monde, un verre à la main, mais plus question à présent de grignoter quoi que ce soit. Il était passé neuf heures; il fallait se garder au moins trois heures de jeûne avant de communier.

   À onze heures et quart, mon père a dit : « Ben, c’est l’heure d’y aller, si on veut avoir de la place ». Tout le monde a repris son manteau, son chapeau, son foulard, puis, dans les rues à moitié déneigées, le cortège s’est mis en route vers l’église. D’un ciel profond, paisible maintenant que soulagé, on ne recevait plus que des flocons retardataires éclatants de blancheur sous les lampadaires. Le vent à cette heure était à plat, complètement essoufflé, tandis que dans ma tête me revenait constamment cette chanson comme pour le ranimer : « Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver! »
 
 
***

dimanche 14 décembre 2014



Mon beau sapin
 
 
 
 

   La coutellerie en argent étalée sur la table au travers des chandeliers, c’est soir de frottage. Les femmes, grand-maman, maman et Mireille, enduisent un petit morceau de linge d’un poli crémeux qui sent la cire à plancher et, avec grimace, frottent énergiquement les ustensiles. Toutes appliquées à leur tâche elles écoutent en même temps Bing Crosby à la radio : I’ m dreaming of a white Christmas…

   Je voudrais bien les aider, mais « supposément » que je ne fais pas bien ça! Alors, il n’y a plus rien à faire ici, d’autant plus qu’elles ont commencé à parler des robes qu’elles vont porter pour le réveillon… Pfff, laissons-les placoter et venez plutôt avec moi dans le salon. J’ai quelque chose à vous montrer.

   Padam! Impressionnant, hein? Eh oui, un arbre dans la maison. Un sapin. On appelle ça un arbre de Noël quand il est décoré comme ça. Beau, n’est-ce pas? Cette boule-là, c’est moi qui l’ai accrochée. Et celle-là aussi. Je n’accroche que les plus belles. Comme celle-ci, ma préférée, en forme de citron avec un creux brillant rouge et bleu et des rayures de poudre d’or, ça doit valoir une fortune. Je l’ai mise la plus haute pour qu’on la voie bien, mais aussi parce que c’est très fragile. Si on l’échappe, c’est un verre fin qui se casse en mille morceaux et devient très très coupant. 

L’étoile en haut?
Non, ça, ce n’est pas moi, c’est mon père. C’est le seul qui a le droit. Et qui est assez grand.

   Quelle chose magnifique, hein? C’est beau, c’est gros, ça sent bon! Et en plus, c’est décoré de boules, de guirlandes, de glaçons. C’est franchement une belle acquisition. Félicitations! (Je peux rimer comme ça, sans arrêt.)
   Mais ce n’est pas tout, vous n’avez encore rien vu. Attendez-moi ici, il faut que je rampe sous l’arbre. Je reviens… 

   Voilà! Eh oui, en plus il s’éclaire! Toutes ces petites ampoules de couleur lumineuses dans leurs réflecteurs, on dirait un feu d’artifice figé en plein éclatement. On dirait une hallucination, un rêve, un…

   — Charles, éteins l’arbre de Noël, tu sais que c’est dangereux de le laisser allumé quand on n’est pas là.
   — Mais maman, je voulais juste le montrer.
   — Montrer à qui?

   Hum…De toute façon, elle ne comprendrait pas. Excusez-moi, je dois l’éteindre. 
 

   Les figurines de plâtre sous l’arbre, c’est la crèche. On a le bœuf, l’âne, le petit Jésus dans son berceau, la Vierge Marie et Saint-Joseph avec la canne cassée – ça aussi, c’est fragile – et bien sûr, l’étable délabrée (que mon père a bien rendu) dans laquelle tous ces personnages sont. Si vous regardez deux branches plus haut, exactement au-dessus de la crèche, vous y voyez une canne en bonbon, petit cadeau que Mlle Therrien m’a donné hier discrètement (je crois qu’elle est toujours amoureuse de moi), au dernier jour d’école. Je l’ai posée là, comme pour en faire une étoile de Belt… de Blehtéem.

   — Charles, va mettre ton pyjama, c’est l’heure de te coucher!
   — Mireille, elle?  
   — Elle est déjà en pyjama.
 
    Bon, j’y vais.
   Mais vous, ne partez pas! Je n’ai pas fini. Il faut que je vous dise que ce n’est pas seulement chez nous qu’il y a un sapin dans la maison. On en trouve dans presque toutes les maisons, on les voit par les fenêtres bien souvent. Il y en a aussi dans l’église (mais ils ne sont pas décorés ceux-là, c’est un endroit trop sérieux) et il y en a même un à l’école. Lundi, nous sommes arrivés dans la classe et un superbe sapin trônait au milieu de la pièce. Il n’avait pas de boules, mais quand même, il était tout brillant de glaçons.

   La maîtresse, à notre dernière journée d’école, nous a fait chanter des cantiques de Noël. Ce n’était pas des Petit Papa Noël ou des Petit Renne au nez rouge, c’était plutôt des chansons religieuses. Mais jolies. 

Çà, bergers assemblons-nous
Allons voir le Messie eeee!

Les anges dan an nos campagnes
Ont entonné l’hymne des cieux… 

   Toutes des chansons dont on ne comprend rien, mais qu’on fredonne au son. 
    Ma préférée, si vous voulez savoir, c’est celle que mon père souvent nous chante :

Père Noël! Père Noël!
Apporte des bébelles
Viens chez nous
Fais pas le fou
J’vas donner trente sous! 

   Et puis une autre (après ça, je vous laisse partir) que je chante parfois à mon arbre quand il est éteint, qu’il n’est plus qu’une présence fantomatique dans le salon, quand je le sens un peu seul, loin des siens restés dans la forêt, c’est :

Mon beau sapin!
Roi des forêts
Que j’aime ta parure…
 
 
***

dimanche 7 décembre 2014




Ah! Comme la neige a neigé.



   C’est samedi… N’empêche, il faut se lever pareil. Je sors de ma chambre à moitié endormi, attiré machinalement par l’odeur du pain grillé. Je descends l’escalier et… Oh! Comme c’est éblouissant! Je me frotte les yeux : comme c’est clair tout à coup dans la maison. Je me refrotte les yeux et je remarque qu’il n’y a plus de couleur dehors. Ce n’est que blanc. Du blanc partout : sur les toits, les gazons, les autos, les branches. Les arbres en face, qu’on ne voyait plus tellement ils étaient rendus gris et dégarnis, éclatent soudainement comme du popcorn. Qu’est-ce qu’y se passe, maman? Qu’est-ce qu’y se passe? Même Minet, s’est posé la question. Il a figé raide dans la porte en voyant ça, s’est trempé prudemment une patte, l’a secouée aussitôt comme pour dire non, et a reviré de bord. 

   Comme c’est magnifique! Peut-on ressentir autre chose que douceur et joie un matin de première neige? Si vous connaissez quelqu’un qui ne vibre pas d’une telle émotion, ne le fréquentez plus. Il est mort.

   On a déjeuné en un temps record et puis, foulard au cou, mitaines aux mains, on s’est tous rués dehors comme des fous, courant partout, surexcités, joyeux, mangeant la neige, la lançant à pleine main, s’y roulant, s’y baignant comme dans l’eau. 

   François, sorti bien avant nous, a roulé pratiquement toute la neige du parterre devant chez lui pour en faire un bonhomme. Un bien petit bonhomme! Un genre de lilliputien obèse dont il semble vraiment fier. Je suis tellement de bonne humeur que plutôt de rire de lui, je le félicite. (C’est rare, ça). 

    Mireille veut que je l’accompagne jusqu’au petit parc de l’aqueduc où il y a une butte. Peut-être qu’on pourrait y glisser? On marche dans les rues et je n’arrête pas de m’émerveiller de la féérie du paysage. Comment en l’espace d’une nuit le monde peut-il autant changer? Il aura suffi d’une simple petite neige pour que tout se change en bonbon.   Tout ce qui a le ciel comme toit (les gazons, les autos, les toitures, les poteaux de téléphone, les statues, les enseignes) a été généreusement saupoudré de ce glaçage onctueux. Glaçage blanc, bien entendu! Et à mon avis, le bon choix. Ç’aurait aussi été beau bleu, jaune ou rouge, mais blanc c’est plus clair, et définitivement mieux que brun…

   À toute cette frénésie s’ajoute encore (ah, quelle journée!) un autre moment fort, aujourd’hui : la parade du père Noël qu’on pourra suivre à la télévision. Bon, je sais que certaines rumeurs circulent au sujet que le bonhomme serait un imposteur – chacun croit ce qu’il veut –, mais qu’il existe ou non, le personnage, admettons-le, reste attachant. Et le défilé, un évènement spectaculaire. 

   Sauf que maintenant, on est pris avec un dilemme : rester dans le salon et regarder passer la parade ou retourner jouer dehors. Surtout qu’il fait beau. Un peu trop même. Le soleil, que personne n’a invité, prend beaucoup de place, je trouve. Le choix s’impose par lui-même, comme le fait remarquer Mireille; de la neige il y en aura, le défilé, lui, aura passé. Ça semble logique, alors, c’est tout le monde dans le salon devant la télévision. 

   Je ne sais pas comment vous regardez la télé vous, mais moi, je ne connais qu’une position : couché par terre, à plat ventre, appuyé sur mes coudes, la tête dans les mains. Comme ça, à trois pieds de l’écran, j’ai l’impression d’être dans l’action. Mireille, à l’occasion, fait comme moi et vient me rejoindre. Paulo, lui, fait toujours comme moi de toute façon. Et voilà trois petits corps morts allongés côte à côte sur la carpette; maman va au moins avoir la paix pendant ce temps-là.

   Le défilé défile avec tambours et trompettes.   Mais à la longue, c’est long. Les minutes passent, bientôt les heures.
     — Y s’en vient-tu le Pènoel? nous rabâche une dixième fois Paulo.
     — Oui, oui, il s’en vient, que je lui répète, reviens-en. Puis tu sais, Paulo, c’est peut-être pas vrai, le père Noël…
Mireille m’envoie un coup de coude dans les côtes. Ayoye! Elle me regarde avec des gros yeux. Qu’est-ce que j’ai fait encore?
     — Heiiinnn! C’est pas vrai le Pènoel? questionne Paulo inquiet, en regardant Mireille.
     — Ben oui, ben oui. Ce que Charles veut dire, c’est que c’est peut-être pas lui, le vrai père Noël. 
     — Non, c’est pas ça…

J’ai pas le temps de finir ma phrase, je reçois un autre coup de coude. Ayoye! Mireille n’y croit plus au père Noël, elle me l’a dit. Moi, j’ai encore un doute « raisonnable ». Je suis pris en sandwich entre un naïf et une incrédule. Je balance entre les deux. Sera-ce ainsi (je voulais la placer celle-là) toute ma vie? Douter toujours, ne croire en rien; chercher toujours, n’espérer rien (celle-là aussi je voulais la placer). Et chaque fois que je voudrai réveiller les consciences, c’est un coup de coude que je recevrai? Misère!

   Enfin, le père Noël, le vrai ou le faux vrai, je ne sais plus, arrive au bout de tout ce temps. Paulo jubile. Les commentateurs sont excités. Ma sœur s’écrit « enfin! » Moi, je suis un peu déçu. C’est pas le souvenir que j’en avais;  il a encore maigri, je trouve. En plus, il n’a pas le rire franc, ça semble forcé. De ça au moins je suis sûr : c’est pas le vrai père Noël. Il a beau nous envoyer la main, je boude. Tout ce temps perdu!

   « On retourne jouer dehors! » je crie aux autres. 

   On se rhabille, foulard au cou, mitaines aux mains, on se rue tous dehors… Mais… où est la neige? Le blanc a disparu, il ne reste que quelques traces ici et là, et le petit amas de feu bonhomme de François. Encore une fois, sans qu’on s’en aperçoive, le monde a changé. Et cette fois pour revenir à son état gris d’ennui. À la douleur que j’ai, que j’ai, comme le poète je m’écrie, à mon tour : Ah! Comme la neige a fondu. 

 
***
 

dimanche 30 novembre 2014


Les sons en « gn »


 

   Faut que j’arrête d’être timoré. Je ne suis pas pour être timoré toute ma vie. Timoré, timoré… juste le mot déjà est gênant. Je sais souvent les réponses aux questions de mademoiselle Therrien, mais je n’ose pas levé ma main, trop timoré de me tromper et faire rire de moi. Alors c’est un autre qui ramasse les bravos. Parfois, je ne comprends pas ce qu’elle explique, mais je ne pose pas de questions au cas où tout le monde aurait compris et que je passerais pour un nono. J’attends désespérément que quelqu’un d’autre se risque.   Faire rire de soi c’est aussi brutal que de se faire attaquer par une bande de loups. Je n’ose pas. Trop timoré.  

   La dernière fois que j’ai levé ma main, c’était quand on apprenait les sons en « gn ». On avait appris la lettre « g », ça, c’était facile, comme dans gare, gros, gai, puis les sons avec la lettre « n » comme nul, noir, nous, nuit, mais là on en était à la combinaison des lettres « gn » comme dans signe (et non  singe, attention les dyslexiques). 

   La maîtresse nous a alors demandé qui peut donner quelques exemples après avoir dit : « LIGNE », « COGNE ». Je lève ma main… Oui, Charles : 
 
     — « PING », « PONG ».

   Tout le monde s’est mis à rire et faire des « gne, gne, gne ».   Mademoiselle Therrien, que je soupçonne un peu amoureuse de moi, est intervenue pour dire :

     Non, non, ne riez pas de votre petit camarade. C’est très bien : « PIGNE », pomme de pin, « POGNE », brioche dorée.

   C’était bien gentil, mais trop tard, la meute m’avait mordu. Je suis redevenu timoré. Plus jamais je ne répondrai. Fini, je ne parle plus. Même sous la torture on n’obtiendra rien de moi. J’ai passé le reste de l’après-midi avec les oreilles rouges, déconcentré, juste hâte de rentrer à la maison pour maudire une volée à mon petit frère.

   Timoré, pourquoi? Parce qu’orgueilleux. Orgueilleux, pourquoi? Parce que manque de confiance. Manque de confiance, pourquoi? Parce que pas assez aimé. Pas assez aimé, pourquoi? Je ne sais pas. C’est ça le mystère.   
  Personne ne m’aime, je vous dis. On n’aime pas les timorés… qui le sont parce qu’on ne les aime pas.  

Bon.

 ***


 

dimanche 23 novembre 2014

                       
                   Tiers-monde                       
 (Paroles et musique : Serge Timmons)
 
 
J’voudrais pas faire du sentiment
Mais à l’autre bout du monde
Tous les jours des millions de gens
Y vivent un peu la fin du monde
 
 
Bien sûr, à tout on s’habitue
Mais des millions ça fait du monde !
Qui manquent de tout et s’entre-tuent
Loin des yeux, du cœur du monde
De ceux qui possèdent le monde
 
 
Dieu nous manque tellement
Dieu nous manque tellement
Un jour, peut-être
On aura plus d’amour
 
 
Mais pourquoi faire du sentiment
On ne refait pas le monde
Fallait choisir son continent
Avant de venir au monde
 
On a aussi nos misères
Et ça coûte des fortunes
Tous ces engins militaires
Et nos voyages à la lune
Pour mettre l’homme à la une
 
 
Dieu nous manque tellement
Dieu nous manque tellement
Un jour, peut-être
On n’aura plus d’amour.
 
 
                                                               Copyright © 2001  S. Timmons

 
***
 
 

dimanche 16 novembre 2014



REMARQUES

 

 
Une chance que je n’ai rien à faire,
parce que je n’aurais pas le temps de le faire.
 

* 

Quand la madame prend la parole et se met à rouler les « R », c’est le roulement de tambour, on sent le militaire qui s’active.  La compassion humaine ne sera pas du propos, ça s’entend.  La mitrrrrrraillle s’en vient.


*

Celui qui affronte l’ennemi en disant «  je ne crains pas la mort », n’est pas brave, parce qu’il ne craint pas, justement.
 

*
 
Tout est relatif. Absolument.


*

Je n’ai pas de problème à m’humilier... l’humilité est une vertu.
Et je suis super humble!
 

*

Quand il n’y a plus commerce entre les grands, il y a la guerre. 
Quand les affaires reprennent, on a la paix.
 

*

Je ne vois en fait que deux races sur terre. 
Deux races fort distinctes et qui ne pourront jamais vraiment s’entendre, chacune se croyant supérieure à l’autre : les hommes et les femmes.


*

   La mort n’a pas meilleur allié que l’homme. Ni plus cruel non plus. Aucune maladie ne peut rivaliser avec nous.  Prenez l’Afrique, continent de la mort, où on ne sait plus comment mourir : de famine, de sécheresse, d’inondation, de guerre civile, de maladie, de virus... actuellement, la fièvre Ebola y sévit et fait des morts. Cinq milles, dix milles ?  C’est relativement peu. Rappelez-vous il y a 20 ans, pas tellement plus loin, au Rwanda, il n’y avait pas de maladie, mais des malades!  800 000 morts en trois mois.  800 000 morts! C’est dix fois Hiroshima, dix fois la bombe atomique. Tout ça sans technologie particulière... 800 000 morts, faits à la main!

   Ce qui me frappe toujours dans les reportages sur ces évènements, c’est de voir parmi les décombres, les morts qui jonchent les routes, les huttes qui brûlent encore, c’est de voir, dis-je, errer, ahuris, incrédules, des chiens, des chats, les seuls épargnés dans cette barbarie — on ne bombarde pas des chiens, on ne viole pas des chats —  et chaque fois je me demande ce qu’ils peuvent bien penser de nous.  Des bêtes? Des monstres?

   Il est où Dieu, quand on a besoin de lui?
 

***

dimanche 9 novembre 2014


Brassens à Dieu
(Paroles et musique : Serge Timmons)

 
 
 
Si on veut tant que Dieu existe
C’est pour rendre la mort moins triste
C’est qu’on veut quelqu’un dehors
Qui nous attende à la mort
Et qui surtout nous reconnaisse
Qu’il nous conduise avec sagesse,
Vu que c’est long l’éternité,
Chacun dans sa fraternité
 
T’attendaient pour le Réveillon
Maître Rabelais, François Villon
Les âmes sœur d’un autre temps
Tous enfin rejoints à vingt ans
Ah ! le bon temps que tu te paies
Loin des abrutis, des épais
Pour que l’esprit reste, il faut avant
En avoir eu de son vivant
 
Toi, le modeste, le pornographe
Qui a tant usé mon phonographe
Tu chantes toujours et encore
Bravant les cons, Dieu et la mort
La camarde qui t’en devait une
A cassé ta pipe et ta plume
Pour te conduire à travers ciel
T’expliquer au Père Éternel
  
Oui, il y a de plus odieux,
Je crois, que de n’pas croire en Dieu
C’est comme tant de croyants le font
Croire pour les mauvaises raisons
Considérer comme un intime
Le Tout-Puissant, l’Être Sublime
En faire, ma foi, un coup parti
Un membre en règle du Parti
 
Il me semble un peu trop utile
Même dans leurs causes les plus futiles
S’il fallait qu’il n’existe pas
Pour eux, mon dieu, quel embarras !
En serions-nous plus orphelins
Plus fanatiques, moins chrétiens ?
Peut-on se conduire vraiment plus mal
Dans ce monde quasi infernal ?
 
Mais, si je veux tant que Dieu existe
C’est pour rendre ta mort moins triste
C’est que je veux quelqu’un là-bas
Qui dise : «  Non, toi, tu ne meurs pas »
Plutôt que de fades oraisons
Il a écouté tes chansons
Et bien sûr reconnu pour sien
Le brave poète musicien.
 
 
 
***