dimanche 30 novembre 2014


Les sons en « gn »


 

   Faut que j’arrête d’être timoré. Je ne suis pas pour être timoré toute ma vie. Timoré, timoré… juste le mot déjà est gênant. Je sais souvent les réponses aux questions de mademoiselle Therrien, mais je n’ose pas levé ma main, trop timoré de me tromper et faire rire de moi. Alors c’est un autre qui ramasse les bravos. Parfois, je ne comprends pas ce qu’elle explique, mais je ne pose pas de questions au cas où tout le monde aurait compris et que je passerais pour un nono. J’attends désespérément que quelqu’un d’autre se risque.   Faire rire de soi c’est aussi brutal que de se faire attaquer par une bande de loups. Je n’ose pas. Trop timoré.  

   La dernière fois que j’ai levé ma main, c’était quand on apprenait les sons en « gn ». On avait appris la lettre « g », ça, c’était facile, comme dans gare, gros, gai, puis les sons avec la lettre « n » comme nul, noir, nous, nuit, mais là on en était à la combinaison des lettres « gn » comme dans signe (et non  singe, attention les dyslexiques). 

   La maîtresse nous a alors demandé qui peut donner quelques exemples après avoir dit : « LIGNE », « COGNE ». Je lève ma main… Oui, Charles : 
 
     — « PING », « PONG ».

   Tout le monde s’est mis à rire et faire des « gne, gne, gne ».   Mademoiselle Therrien, que je soupçonne un peu amoureuse de moi, est intervenue pour dire :

     Non, non, ne riez pas de votre petit camarade. C’est très bien : « PIGNE », pomme de pin, « POGNE », brioche dorée.

   C’était bien gentil, mais trop tard, la meute m’avait mordu. Je suis redevenu timoré. Plus jamais je ne répondrai. Fini, je ne parle plus. Même sous la torture on n’obtiendra rien de moi. J’ai passé le reste de l’après-midi avec les oreilles rouges, déconcentré, juste hâte de rentrer à la maison pour maudire une volée à mon petit frère.

   Timoré, pourquoi? Parce qu’orgueilleux. Orgueilleux, pourquoi? Parce que manque de confiance. Manque de confiance, pourquoi? Parce que pas assez aimé. Pas assez aimé, pourquoi? Je ne sais pas. C’est ça le mystère.   
  Personne ne m’aime, je vous dis. On n’aime pas les timorés… qui le sont parce qu’on ne les aime pas.  

Bon.

 ***