dimanche 29 mars 2009

Une autre entrevue avec moi-même, mais cette fois c’est sérieux, enfin pas trop niaiseux… même un peu plate et beaucoup long.


Discours sur la morale


Moi - Déjà le titre ça fait sérieux. Mais n’est-ce pas un emprunt de Nietzche ?

Moi - Non, lui c’est la Généalogie de la Morale. Descartes c’est le
Discours sur la Méthode. Moi c’est un peu des deux.

- Que pensez-vous justement de Nietzsche ?

- Je pense qu’il y a beaucoup de lettres inutiles.
(Celle-là n’est pas de moi… mais c’aurait pu)

- Bon, on avait dit qu’on serait sérieux…

- C’est vrai. Sérieux. Sérieuuux!

- D’abord, qu’entendez-vous par la morale?

- Rien de savant sur le Bien ou le Mal. Ni non plus sur les Devoirs et les Buts de la vie. Ça viendra peut-être un jour. Non, en fait le titre c’est pour accrocher. C’est de moralisation que je veux parler : l’intérêt d’avoir une approche consciente sur nos actions et de communiquer ses interrogations morales ou philosophiques.

- Moraliser : le mot déjà indispose. Car qui en a l’autorité ? Qui a la meilleure Morale ? Ce qui est bien pour un peut ne pas l’être pour l’autre, et vice versa. Chacun propose sa façon de voir, et voilà. Chacun croit toujours avoir raison, sinon chacun penserait autrement.

- C’est juste.

- Alors, il est tout à fait stérile ou erroné, de vouloir corriger la conduite de l’autre.

- Il ne s’agit pas, dans mon cas, de trouver LA VOIE pour tout le monde. Je laisse ça aux savants philosophes et hommes de science, qu’ils s’amusent. Je cherche pour moi la compréhension des choses, la meilleure attitude à prendre pour une vie en harmonie, sage et satisfaisante.

- Mais alors, pourquoi faire la morale aux autres ?

- Je ne la fais pas aux autres; on vient de dire que c’est bête, et je le crois. Au début de cet ouvrage, dans la préface je crois, j’ai bien avisé le lecteur, que toutes ces réflexions me concernaient. Je n’écris que pour moi. Je me fais la morale. Je cherche. Je m’insulte. Je me brasse. Je publie seulement parce que j’ai l’impression que je ne suis pas le seul à se questionner. Alors je me dis que ma réflexion pourrait peut-être servir aux autres qui cherchent.

- C’est bien dit comme ça, mais n’empêche, le ton moralisateur on le sent bien dans
vos chroniques.

- Écoutez, je veux être un hôte poli : On vient me visiter, je reçois. Je m’efforce de bien écrire, de détendre l’atmosphère avec un peu d’humour, j’essaie de varier mes plats, je prends soin de ne pas trop dire de bêtises… mais ciboire, je suis chez-nous !

- Oui, mais vous venez nous chercher dans la rue pour qu’on vous visite.

- Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Je me suis un peu emporté. N’empêche que c’est vrai : je suis chez-moi. Je veux dire par là que c’est de mon point de vue. Il n’y a rien de vraiment objectif dans ce que j’écris. Il n’y a que la quête de compréhension qui soit « partageable ». Cette quête, elle est bien réelle et se passe presqu’en direct. Beaucoup de réflexions, de façons de voir (et même de vivre) me sont venues en écrivant, en me questionnant, en présentant mes idées. On ne sait pas au départ où ça va aboutir tout ça. On a une petite idée, mais au développement ça prend des proportions parfois inattendues.

- Comme cette petite montée de lait de tantôt ?

- Exactement. Pourtant je faisais bien attention.

- Bon. Mais revenons à cette Morale dont il est question. Faut-il ou non moraliser ?

- Je crois que oui. Parce que voyez-vous, les gens sont toujours très occupés. La plupart n’aiment pas trop penser ou n’ont pas tous les repères nécessaires. Leur vie est trop trépidante ou trop astreignante. Quoiqu’il en soit ils font face quotidiennement à différentes problématiques et dans des humeurs souvent bien changeantes. Il leur est très difficile, sans longuement réfléchir ou prendre des avis judicieux de personnes sages, de régler les petits conflits. Souvent ils vont prendre une position qui va empirer les choses.

- Mais vous, vous êtes au-dessus de la mêlée, c’est ça?

- Mais qu’est-ce que je disais tantôt ? C’est de moi que je parle, connard. Cout’ donc, me lis-tu quand je parle ? Je n’utilise pas le « je » mais c’est pour faire plus littéraire, bon yeu! C’est facile à comprendre, me semble.

- Je sens que vous allez encore vous excuser.

- Bien sûr, bien sûr, je m’excuse. Je m’excuse. Mais c’est ça quand même. C’est un exercice d’analyse; je me sors du lot pour (me) nous observer. Dans cette marche en forêt, je laisse le peloton parfois pour grimper dans un arbre afin d’avoir une vue d’ensemble sur notre groupe et de la directions où l’on va. Mais je suis toujours de ce groupe d’humains; je n’ai pas de perceptions extérieures à nous comme peuvent l’avoir les animaux de la forêt sur notre présence. J’aimerais bien avoir leur idée là-dessus. Là je serais au-dessus de la mêlée. Mais, enfin, poursuivons.

- Nous disions…

- Nous disions que tout le monde, bien souvent, se couche en se disant que tout ne va pas toujours pour le mieux. La vie est compliquée, nous sommes complexes. On est tous un peu à la recherche de la lumière. On voudrait que tout ait un sens, que toutes nos actions soient les bonnes. Sans regret. Sans envie. Sans remords. D’où, si je peux me permettre…

- Bien sûr, allez-y, allez-y.

- Merci. D’où cette favorable fréquentation de moralisateurs tel que je peux parfois être. On s’entend ; pas celui qui moralise après, mais avant que les choses se passent. Il faut annoncer la courbe avant qu’on l’ait passée, pas après. On philosophe avant ou pendant qu’on vit les évènements. Calmement et dans le respect des limites, des réalités de chacun. Sinon ce n’est plus de la compréhension, c’est du prêche. Ça devient du moralisme qui énerve tant.

- Mais qui peut le faire ? Qui a cette autorité ?

- Bien souvent nos amis. Les sages dans notre entourage. Nos parents quand on était petit. Enfin toutes les personnes de gros bon sens. Ils ont cette autorité.

- Oui, mais eux qui les éclairent ?

- Je suis content de cette question. Un peu plus et je me la posais moi-même. C’est là où nous en venons. Ce sont à eux qu’il faut s’adresser; eux, visitent les philosophes, vont lire, s’interroger, chercher, et souvent trouver, au moins temporairement, des réponses, des modèles à suivre.

- On vous dépeint comme un objecteur de conscience. Vous, comment voyez-vous ça ?

- C’est un titre plutôt honorable. On confond souvent avec un empêcheur de tourner en rond, ou quelqu’un qui cherche constamment la contradiction. Là- dedans je ne me reconnaitrais pas, mais dans le sens premier du terme, souvent attribué au militaire qui refuse de combattre dans certaines situations par respect absolu de la vie, là je suis partant.

- Faut-il donc toujours philosopher ?

- Diderot dit : « Le peuple parle de vivre d’abord et de philosopher ensuite; mais le sage propose de philosopher d’abord et de vivre ensuite, si on le peut ». Moi, je pense qu’il faut surtout vivre, quitte à ne jamais philosopher. Je ne crois pas que mon chien est en train de rater sa vie -quoique je le soupçonne de philosopher un peu. Car philosopher permet peut-être justement de profiter pleinement de la vie. Surtout pour une espèce comme la nôtre, encline à de grandes angoisses. Nous sommes constamment tiraillés par l’envie, le remords, l’orgueil, l’exaltation. On est moins soumi à l’instinct, alors il nous faut tout acquérir, apprendre, transformer. On ne peut pas vraiment bien vivre sans réfléchir, communiquer, philosopher un tant soit peu.

- Mais l’introspection intensive n’est pas le fait de tout le monde. Et comment mesure-t-on une plénitude de vie ?

- Je crois qu’on a tous nos moments d’introspection, de grands questionnements sur nos vies ou sur la vie en général, mais c’est souvent dans les moments lourds : les grandes décisions, lors des gros problèmes. Idéalement ce serait bien d’avoir pratiqué avant, lors de situations plus légères. Idéalement ce serait bien d’avoir conservé une certaine maintenance quotidienne et agréable.
Quant à la plénitude de la vie je dirais qu’on a tous un rendez-vous avec soi-même à un moment donné dans la vie (et certainement avant de mourir) et c’est là qu’on aura un regard révélateur sur « l’ensemble de son œuvre ». Vaut mieux être préparé. L’examen risque d’être court, les questions embêtantes, et le verdict tranchant. Le philosophe s’étant évalué en se passant régulièrement quelques contrôles risque moins d’être déculotté.

- Mais n’est-ce pas une mortification un peu ridicule que de se tourmenter sans cesse ? N’est-ce pas ainsi une façon de rater sa vie pour ne pas rater sa mort ?

- Le poète en moi a envie de mourir constamment, le philosophe heureusement le divertit. Se tourmenter n’est pas un exercice si déplaisant. C’est une sorte de travail. Certains prennent plaisir à travailler, vous savez.

- Et d’autres pas. Nous sommes bien placés pour le savoir. Alors la question est toujours la même : À quoi prétendent les moralisateurs de votre espèce ?

- … Oh, je ne m’attendais pas à cette question là.

- !?!?!?

- C’est vrai. Euh… pouvez-vous répéter la question ?

- C’est très bien de faire son affaire en son âme et conscience, mais pourquoi vouloir vendre sa vision aux autres ? Pourquoi ne pas se contenter de penser et laisser penser comme de vivre et laisser vivre ?

- Chacun peut chanter dans sa douche. Pourquoi certains ont-ils le besoin de monter sur les planches ? Peut-être que là on en arrive au domaine de l’art. Philosopher est un art. C’est une expression. C’est du domaine de la communication. Les artistes proposent une façon de voir, de ressentir les choses. Ils modifient la matière pour l’exprimer aux autres. Il y a toujours une proposition là-dedans.

- Oui, mais la portée n’est pas la même. On sent moins les intentions derrière.

- Pas sûr. Ils reflètent leur époque, ils alimentent les courants de pensée. Plusieurs prennent carrément position, et leur portée n’est pas sans conséquence. Doivent- ils ne produire que pour eux?

- Chacun veut influencer l’autre; on ne s’en sort pas. On est toujours étonné que l’autre n’aime pas ce qu’on adore. Ou pire encore, aime ce qu’on méprise. On ne comprend pas. On a le sentiment que l’autre est (au moins un peu) dans l’erreur. Mais comme c’est le lot de tout le monde, n’est-il pas sage de laisser les choses aller?

- Sûrement, mais ce n’est pas communiquer. Je le répète l’artiste, le créateur, ne laisse pas les choses comme ça : il développe, rebâtit, suggère. Son esprit, ses émotions lui commandent d’intervenir. De proposer autre chose. La philosophie est un art… qui tend vers la science peut-être, mais, selon moi, un art d’abord.

- Disons. Mais moraliser, faire les leçons, prêcher…

- Nous sommes des êtres moraux; de ça non plus on n’en sort pas. Toutes nos questions, toutes nos actions, nos œuvres sont morales. On peut fonctionner sans réfléchir, d’ailleurs on le fait assez souvent, mais du moment qu’on réfléchit sur ce qu’on fait on devient moral. Et c’est là qu’on prête l’oreille aux philosophes, aux moralisateurs.

- Oui, d’accord, mais on prête l’oreille à ceux qu’on veut bien entendre.

- Exactement, voilà où nous en sommes. L’étape suivante est de discourir sur LA MANIÈRE ET LE PROPOS.

- Ce que nous ne ferons pas maintenant.

- Oh non. Là, le lecteur est fatigué.




*****