dimanche 18 mai 2014


    Flashbacks (suite)

  

   On est dimanche après-midi, bientôt deux heures. La règle chez nous, en ce qui concerne la visite, c’est : « si vous voulez nous voir, arrivez avant, parce qu’après on est plus là. »  La plupart du temps, on partait. C’était presque un rituel, tous les dimanches après-midi, s’il faisait beau, on partait toute la famille faire un tour de machine. Pas bien loin, pas très longtemps. Juste pour la ballade en auto. Il arrivait parfois que, passant devant un petit stand à patates frites, on créait une telle pression sur mon père qu’il n’avait plus le choix. Alors on se partageait deux ou trois casseaux de frites. 

   On prenait rarement le même chemin les fois suivantes…


* 

   Une visite parfois se pointait. On voyait par la fenêtre un char arrivé : « Maman c’est mon oncle Marcel! »  Puis là, c’était le branle-bas de combat. Maman allait se passer du spray net dans les cheveux, papa plaçait rapidement le salon, nous on se sauvait dans nos chambres. Pas Mireille, évidemment. Après quelques minutes, quand la visite était installée, maman me faisait signe de la suivre dans la cuisine et discrètement me donnait un dollar : « Traverse chez madame Dionne, achète de la liqueur et des chips. Passe par en arrière! »  Elle me laissait cinq cents pour moi. Sans le dire, c’était une façon d’acheter mon silence.

 
* 

   Une belle journée chaude d’été, on est en costume de bain encore mouillé de notre baignade dans la petite piscine, et on se « balancigne ». Mon père nous a fabriqué ça : deux balançoires.   On se croirait dans un manège du parc Belmont. Comble de bonheur, on a eu droit en plus à un cornet de crème glacée. Seulement, en se balançant, ce n’est pas une très bonne idée de tenir ça. À un moment donné, j’ai perdu la boule. C’est très long enlever tout le sable là-dessus… Plus vite de manger en crachant souvent.


* 

   On marche sur le trottoir en rang. Et en SILENCE, s’il vous plaît! Toute la classe va à l’église se confesser avant la grande cérémonie de la Confirmation. Tantôt, à l’école, on s’est préparé pour la confession :

   - Ai-je menti? Si oui, combien de fois.

   - Ai-je dérobé quelque chose? Si oui, combien de fois

  - Ai-je fait de la peine à mes parents? Si oui, quand, comment, combien de fois.                                
 
   - Ai-je été méchant avec les autres? Si oui, est-ce que je le regrette?


   Et ainsi de suite. Tout le monde, la tête couchée sur son pupitre, on a fait en silence notre examen de conscience, sous les suggestions de la maîtresse. L’exercice était plutôt léger, vu qu’on n’avait pas encore couvert les péchés capitaux. L’avarice, la luxure… ce n’est pas encore de notre âge. Quand j’ai eu trouvé quelques fautes pas trop compromettantes, j’ai essayé de les mémoriser et de leur attribuer une fréquence « raisonnable ». Celle-là, trois fois. Celle-là, quatre… non, cinq, j’en ai déjà une à quatre. Ç’a été plus un exercice d’imagination qu’autre chose. 

   Rendus à l’église, on se tient en rang devant le confessionnal et on se répète mentalement la réplique.

   Arrive enfin mon tour. À genoux dans cet endroit sombre, j’attends, avec le cœur qui me débat un peu, qu’on ouvre à mon guichet. Pendant ce temps, j’écoute l’autre murmurer ses fautes sans évidemment bien distinguer les mots. Puis, me faisant le saut, le prêtre tire sur le volet de mon côté. « Oui, je vous écoute, mon enfant! » Le vouvoiement me décontenance : « Mon père je m’accuse…, euh…, euh… shit! ». Un blanc.  


***