dimanche 9 juin 2013


IN MEMORIAM
(Il y a un an aujourd’hui)      

Adieu Michel…  
 
Le téléphone sonne : « Michel est mort. »
La phrase résonne encore comme un coup de masse frappant le roc. Ça cogne dur, ça rebondit, ça ne rentre pas.

   Ça fait 44 ans que je connais Michel, 44 ans qu’il est dans le paysage. Premier étranger vraiment à se greffer au cœur de notre famille, parce que dans le cœur de Ghislaine, le cœur de la famille.  


   Été '68, il débarque chez-nous comme un prince. Beau, jeune, cool, apportant la modernité dans notre salon avec son système stéréo haute-fidélité. Wow! Et ç’a été l’été de la musique. Fini le rigodon et la « Faute au Bossanova », le prince aimait James Last, alors c’était James Last. Il aimait aussi Richard Anthony, alors Princesse faisait jouer Richard Anthony, beaucoup de Richard Anthony. L’inusable Richard Anthony. Juste trois disques, mais Christ!  Oh, pardon…  Hostie, qu’ils ont tourné souvent! Un côté fini, change de bord, l’autre bord fini, change de disque, le disque fini, met l’autre, puis l’autre, et on revient au premier, et c’était comme ça dix heures par jour, dix jours par semaine, les dix semaines de vacances au complet.

   Très tôt, on a découvert que Michel avait une manie : il aimait bien démonter les affaires, puis les remonter. La plupart du temps, ça marchait, je veux dire que ça ne changeait rien. Sauf, pour ma carabine à pellets. Il m’avait dit « on pourrait sûrement l’améliorer »… en comprimant, ou étirant le ressort (j’ai pas trop saisi le plan), en tout cas, une affaire de rien, on en a pour 15 minutes, « Ghislaine va me chercher une bière. »

   Deux jours plus tard, monte pis démonte, il nous restait toujours des pièces dans les mains, pis c’était jamais les mêmes. On l’avait améliorée, ah oui, était plus légère, puis maintenant on ne perdait plus les plombs, on les voyait tomber en avant du canon. Moi, je m’en foutais pas mal de ma carabine, l’important c’est qu’on avait eu du fun. Puis l’intention était bonne, c’est juste que ça voulait pas coopérer. 

   Bien tout ça pour vous dire que, quelques jours plus tard, arrive ma fête, et dans de longs énoncés énigmatiques (on n’était pas encore habitués), on a fini par comprendre qu’il voulait que Ghislaine aille chercher le cadeau qu’il avait pour moi. Il m’avait acheté rien de moins que la meilleure carabine à pellets au Québec, quasiment une arme à feu. 

   C’était ça, Michel, PAS CHEAP du tout. Que du beau, que du bon, pour lui, comme pour les autres. Je le sais, j’ai porté ses chemises, il me les refilait. Toujours des belles chemises de qualité, presque pas usées, j’étais content. À un moment donné c’est ses Playboys qu’il m’a refilés. Une caisse de Playboys, pas tous des modèles récents, mais quand même tous des beaux livres presque pas usés. Quand t’as 16 ans… t’es content. 

   Ça fait déjà plus de quarante ans tout ça. Je me demande si ce n’est pas parce que le temps passe trop lentement qu’on ne le voit pas passer. Tout change en même temps, on ne se rend pas compte tout de suite de l’ampleur que prennent les choses, on vit toujours au présent. Le petit fouet planté dans la cour, bien après quarante ans c’est devenu un gros arbre. C’est quand il disparaît qu’on remarque tout l’espace qu’il occupait, puis ça fait un grand trou.

*

   Michel, je crois bien que samedi dernier ta vie a été détournée, une sorte de raccourci pour l’infini. Le temps maintenant n’est plus important. Suffit d’avoir été, c’est tout ce qui compte. Le souvenir dans le cœur fera le reste.


   Chez nous, tu n’as pas fait que passer, mon vieux, tu t’es installé, à demeure, à jamais.


                                               Adieu Michel,
                                               Bonne éternité, mon frère.
 
 
 
 
 
***