IN MEMORIAM
(Il y a un an aujourd’hui)
Adieu Michel…
Le
téléphone sonne : « Michel est mort. »
La
phrase résonne encore comme un coup de masse frappant le roc. Ça cogne dur, ça
rebondit, ça ne rentre pas.
Ça fait 44 ans que je connais Michel, 44 ans
qu’il est dans le paysage. Premier étranger vraiment à se greffer au cœur de
notre famille, parce que dans le cœur de Ghislaine, le cœur de la famille.
Été '68, il débarque chez-nous comme un
prince. Beau, jeune, cool, apportant la modernité dans notre salon avec son
système stéréo haute-fidélité. Wow! Et ç’a été l’été de la musique. Fini le rigodon
et la « Faute au Bossanova », le prince aimait James Last, alors c’était James
Last. Il aimait aussi Richard Anthony, alors Princesse faisait jouer Richard
Anthony, beaucoup de Richard Anthony. L’inusable Richard Anthony. Juste trois
disques, mais Christ! Oh, pardon… Hostie, qu’ils ont tourné souvent! Un côté
fini, change de bord, l’autre bord fini, change de disque, le disque fini, met
l’autre, puis l’autre, et on revient au premier, et c’était comme ça dix heures
par jour, dix jours par semaine, les dix semaines de vacances au complet.
Très tôt, on a découvert que Michel avait
une manie : il aimait bien démonter les affaires, puis les remonter. La plupart
du temps, ça marchait, je veux dire que ça ne changeait rien. Sauf, pour ma
carabine à pellets. Il m’avait dit « on pourrait sûrement l’améliorer »… en
comprimant, ou étirant le ressort (j’ai pas trop saisi le plan), en tout cas,
une affaire de rien, on en a pour 15 minutes, « Ghislaine va me chercher une
bière. »
Deux jours plus tard, monte pis démonte, il
nous restait toujours des pièces dans les mains, pis c’était jamais les mêmes.
On l’avait améliorée, ah oui, était plus légère, puis maintenant on ne perdait
plus les plombs, on les voyait tomber en avant du canon. Moi, je m’en foutais
pas mal de ma carabine, l’important c’est qu’on avait eu du fun. Puis
l’intention était bonne, c’est juste que ça voulait pas coopérer.
Bien tout ça pour vous dire que, quelques
jours plus tard, arrive ma fête, et dans de longs énoncés énigmatiques (on
n’était pas encore habitués), on a fini par comprendre qu’il voulait que
Ghislaine aille chercher le cadeau qu’il avait pour moi. Il m’avait acheté rien
de moins que la meilleure carabine à pellets au Québec, quasiment une arme à
feu.
C’était ça, Michel, PAS CHEAP du tout. Que
du beau, que du bon, pour lui, comme pour les autres. Je le sais, j’ai porté
ses chemises, il me les refilait. Toujours des belles chemises de qualité,
presque pas usées, j’étais content. À un moment donné c’est ses Playboys qu’il
m’a refilés. Une caisse de Playboys, pas tous des modèles récents, mais quand
même tous des beaux livres presque pas usés. Quand t’as 16 ans… t’es
content.
Ça fait déjà plus de quarante ans tout ça.
Je me demande si ce n’est pas parce que le temps passe trop lentement qu’on ne
le voit pas passer. Tout change en même temps, on ne se rend pas compte tout de
suite de l’ampleur que prennent les choses, on vit toujours au présent. Le
petit fouet planté dans la cour, bien après quarante ans c’est devenu un gros
arbre. C’est quand il disparaît qu’on remarque tout l’espace qu’il occupait,
puis ça fait un grand trou.
*
Michel, je crois bien que samedi dernier ta
vie a été détournée, une sorte de raccourci pour l’infini. Le temps maintenant
n’est plus important. Suffit d’avoir été, c’est tout ce qui compte. Le souvenir
dans le cœur fera le reste.
Chez nous, tu n’as pas fait que passer, mon
vieux, tu t’es installé, à demeure, à jamais.
Adieu
Michel,
Bonne éternité, mon frère.
***