Ah! Comme la neige a neigé.
C’est samedi…
N’empêche, il faut se lever pareil. Je sors de ma chambre à moitié endormi,
attiré machinalement par l’odeur du pain grillé. Je descends l’escalier et… Oh!
Comme c’est éblouissant! Je me frotte les yeux : comme c’est clair tout à
coup dans la maison. Je me refrotte les yeux et je remarque qu’il n’y a plus de
couleur dehors. Ce n’est que blanc. Du blanc partout : sur les toits, les
gazons, les autos, les branches. Les arbres en face, qu’on ne voyait plus
tellement ils étaient rendus gris et dégarnis, éclatent soudainement comme du
popcorn. Qu’est-ce qu’y se passe, maman? Qu’est-ce qu’y se passe? Même Minet,
s’est posé la question. Il a figé raide dans la porte en voyant ça, s’est
trempé prudemment une patte, l’a secouée aussitôt comme pour dire non, et a
reviré de bord.
Comme c’est
magnifique! Peut-on ressentir autre chose que douceur et joie un matin de
première neige? Si vous connaissez quelqu’un qui ne vibre pas d’une telle
émotion, ne le fréquentez plus. Il est mort.
On a déjeuné
en un temps record et puis, foulard au cou, mitaines aux mains, on s’est tous
rués dehors comme des fous, courant partout, surexcités, joyeux, mangeant la
neige, la lançant à pleine main, s’y roulant, s’y baignant comme dans
l’eau.
François,
sorti bien avant nous, a roulé pratiquement toute la neige du parterre devant
chez lui pour en faire un bonhomme. Un bien petit bonhomme! Un genre de lilliputien
obèse dont il semble vraiment fier. Je suis tellement de bonne humeur que
plutôt de rire de lui, je le félicite. (C’est rare, ça).
Mireille
veut que je l’accompagne jusqu’au petit parc de l’aqueduc où il y a une butte. Peut-être
qu’on pourrait y glisser? On marche dans les rues et je n’arrête pas de
m’émerveiller de la féérie du paysage. Comment en l’espace d’une nuit le monde
peut-il autant changer? Il aura suffi d’une simple petite neige pour que tout
se change en bonbon. Tout ce qui a le
ciel comme toit (les gazons, les autos, les toitures, les poteaux de téléphone,
les statues, les enseignes) a été généreusement saupoudré de ce glaçage
onctueux. Glaçage blanc, bien entendu! Et à mon avis, le bon choix. Ç’aurait
aussi été beau bleu, jaune ou rouge, mais blanc c’est plus clair, et
définitivement mieux que brun…
À toute cette
frénésie s’ajoute encore (ah, quelle journée!) un autre moment fort, aujourd’hui :
la parade du père Noël qu’on pourra suivre à la télévision. Bon, je sais que
certaines rumeurs circulent au sujet que le bonhomme serait un imposteur – chacun
croit ce qu’il veut –, mais qu’il existe ou non, le personnage, admettons-le,
reste attachant. Et le défilé, un évènement spectaculaire.
Sauf que
maintenant, on est pris avec un dilemme : rester dans le salon et regarder
passer la parade ou retourner jouer dehors. Surtout qu’il fait beau. Un peu
trop même. Le soleil, que personne n’a invité, prend beaucoup de place, je
trouve. Le choix s’impose par lui-même, comme le fait remarquer Mireille; de la
neige il y en aura, le défilé, lui, aura passé. Ça semble logique, alors, c’est
tout le monde dans le salon devant la télévision.
Je ne sais
pas comment vous regardez la télé vous, mais moi, je ne connais qu’une
position : couché par terre, à plat ventre, appuyé sur mes coudes, la tête
dans les mains. Comme ça, à trois pieds de l’écran, j’ai l’impression d’être
dans l’action. Mireille, à l’occasion, fait comme moi et vient me rejoindre. Paulo,
lui, fait toujours comme moi de toute façon. Et voilà trois petits corps morts
allongés côte à côte sur la carpette; maman va au moins avoir la paix pendant
ce temps-là.
Le défilé
défile avec tambours et trompettes.
Mais à la longue, c’est long. Les minutes passent, bientôt les heures.
— Y s’en vient-tu le Pènoel?
nous rabâche une dixième fois Paulo.
— Oui, oui, il s’en vient, que je lui
répète, reviens-en. Puis tu sais, Paulo, c’est peut-être pas vrai, le père
Noël…
Mireille m’envoie un coup de
coude dans les côtes. Ayoye! Elle me regarde avec des gros yeux. Qu’est-ce que
j’ai fait encore?
— Heiiinnn! C’est pas vrai
le Pènoel? questionne Paulo inquiet, en regardant Mireille.
— Ben oui, ben oui. Ce que
Charles veut dire, c’est que c’est peut-être pas lui, le vrai père Noël.
— Non, c’est pas ça…
J’ai pas le temps de finir ma phrase, je reçois un autre coup de coude.
Ayoye! Mireille n’y croit plus au père Noël, elle me l’a dit. Moi, j’ai encore
un doute « raisonnable ». Je suis pris en sandwich entre un naïf et
une incrédule. Je balance entre les deux. Sera-ce ainsi (je voulais la placer
celle-là) toute ma vie? Douter toujours, ne croire en rien; chercher toujours,
n’espérer rien (celle-là aussi je voulais la placer). Et chaque fois que je
voudrai réveiller les consciences, c’est un coup de coude que je recevrai? Misère!
Enfin, le père Noël, le vrai
ou le faux vrai, je ne sais plus, arrive au bout de tout ce temps. Paulo jubile.
Les commentateurs sont excités. Ma sœur s’écrit « enfin! » Moi, je
suis un peu déçu. C’est pas le souvenir que j’en avais; il a encore maigri, je trouve. En plus, il
n’a pas le rire franc, ça semble forcé. De ça au moins je suis sûr : c’est
pas le vrai père Noël. Il a beau nous envoyer la main, je boude. Tout ce temps
perdu!
« On retourne jouer
dehors! » je crie aux autres.
On se rhabille, foulard au
cou, mitaines aux mains, on se rue tous dehors… Mais… où est la neige? Le blanc
a disparu, il ne reste que quelques traces ici et là, et le petit amas de feu
bonhomme de François. Encore une fois, sans qu’on s’en aperçoive, le monde a
changé. Et cette fois pour revenir à son état gris d’ennui. À la douleur que
j’ai, que j’ai, comme le poète je m’écrie, à mon tour : Ah! Comme la neige
a fondu.
***