dimanche 30 mars 2014

                     Incredo                       
 
  
Je ne crois pas en Dieu
Père tout-puissant,
Créateur du ciel et de la terre
Bienfaiteur et bienveillant
Pour les hommes que nous sommes
 
Je ne crois pas non plus
À l’enfer ni au paradis
Le raccourci facile
Pour soumettre les hommes
 
Incredo, incredo, incredo, incredo
 
Je ne crois pas en l’amour
Le grand et noble sentiment
Qui sublime et magnifie
Les pauvres bêtes que nous sommes


Ni à cette Âme non plus
Qu’on dit que l’animal n’a pas
Aussi vraie, aussi noble
Que la bête nous pardonne
 
 
Incredo, incredo, incredo, incredo
 
Mais je crois,
Que la neige s’amuse en tombant
Que la lune est bien seule souvent
Que c’est vrai c’que nous dit le vent
 
Mais je crois
Aux histoires de princes d’Orient
À toutes ces belles au bois dormant
À l’enfant qui vous parle maintenant
Incredo, incredo
 
Je ne crois pas en Dieu
Je n’crois pas en l’amour
Je ne crois pas à la mort
Je ne crois pas à l’enfer, à la guerre, aux religions, à la science...
Je ne crois pas, je ne crois pas
Incredo, incredo
Je ne crois pas....
Mais tout est bien possible  
 
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dimanche 23 mars 2014


COMME LA NEIGE

 

Comme la neige l’hiver passé
Fondue.  Oubliée
C’est comme ça
Rien pour, rien contre
Ça ne nous concerne plus
C’est déjà loin
Quand elle reviendra
On s’en souviendra

Comme la neige aujourd’hui
Elle recouvre le jardin
L’herbe verte, la balançoire
On ne voit plus l’été
Tout est caché, enseveli
Pourtant tout est là, dessous
Attendre plutôt que laisser
Attendre 

Il voulut conquérir le monde 
C’était bien possible
Mais le monde a fui devant
Il est retourné sur son île
 C’est comme ça
Ça ne nous concerne plus
C’est déjà loin
On oubliera


***

dimanche 16 mars 2014


PAROLES DE PAÏEN

 

   Si Dieu existe, pourquoi parle-t-on toujours à sa place? Est-il mort? On interprète ses moindres intentions comme ses dernières volontés. On nous fait part de ses messages comme s’il était absent. Est-il en voyage? 

   Et en admettant qu’Il existe, est-il bon et juste? Je veux dire autant que la Nature peut ou ne pas l’être alors qu’elle partage mal les souffrances et les offrandes?


   Les philosophes nous parlent de LUI en évitant toute représentation simpliste : un esprit, un fluide, une part divine dans chaque atome, la quintessence cosmique... Ce sont toutes rationalisations qui le dénaturent. Cette extrême prudence savante ou scientifique m’apparaît bien suspecte pour masquer nos lacunes actuelles en un fourre-tout « poétique ». Toutes ces hypothèses pour expliquer le grand mystère finiront bien par LE tuer un jour.

   Il me semble pourtant que Dieu n’a de sens que dans sa représentation la plus primitive, sa probable origine, celle qui nous vient spontanément quand on s’adresse à lui : une forme humaine, préférablement un vieillard grisonnant et barbu, sage et justicier, créateur de l’Univers, l’immensité connue et inconnue, mais particulièrement intéressé à chacun de nous, présent à nos moindres faits et gestes, assistant à nos pensées les plus intimes, participant même à l’occasion à nos entreprises. Et c’est bien tant mieux, c’est comme ça qu’il est important. Autrement toute interprétation rationnelle, scientifique, réfléchie en faisant une sorte de substance chimique n’intéresserait personne.
 

   Je ne crois pas que Dieu existe. Je crois seulement qu’il faut croire. Qu’il existe ou pas ne changerait rien. C’est la foi qui compte.

Dieu n’a de sens que vu par un païen. 

Et la sorcellerie n’est pas tellement loin.


***

dimanche 9 mars 2014


H. ( suite )


Pour un esprit tourmenté comme le sien, un Don Quichotte dégainant sur toutes affirmations présomptueuses, cette expérience ne passait pas. La plupart des gens ne portent pas attention à ces petits indices du grand mystère, mais lui, il flairait les choses et l’enquête virait à l’obsession. Pris de vertige, il téléphona à Bertrand, son frère, le seul être au monde qui ne le prenait pas tout à fait pour un fou. 
 
 Suis-je mort? demanda-t-il à Bertrand.

 Ah, t’es fatigant avec ça, s’impatientait l’autre, je te le dirai quand tu le seras.

 Non, il sera trop tard.

 Écoute ben, Albin, tant que tu te poseras la question, tu ne seras jamais mort, lui assura Bertrand. (Réponse toute cartésienne, mais impossible à vérifier. Ça ne statue que sur un état, et le plus évident. Mais qu’est-ce que ne pas être? … silence radio…)

 Quand je ne me pose pas la question, est-ce à dire que je suis mort?    (Tiens! Voyez ce que je disais. Bien répondu, Albin!)

 C’est ton problème. Si tu croyais en Dieu aussi, ou à une vie après la mort, ou la réincarnation, ou je ne sais pas moi… comme tout le monde finalement, tu saurais que tu le serais.

   À cet argument, H. avait toujours cette réflexion : « Avant de naître, savions-nous que nous n’étions pas? ». Les croyants lui répondaient invariablement que c’étaient parce que nous n’existions effectivement pas encore, mais maintenant que Dieu nous avait créés, c’était pour l’éternité. 

Ouais, l’éternité avec un début… ça ne lui rentrait pas dans la tête. Ça suppose que nos prédécesseurs ont une éternité plus longue, et ce n’est pas juste.


   Adolescent, quand il avait une soudaine crise de foi, il courait consulter le curé de sa paroisse. Ce dernier trop occupé aux offices des  mariages, des baptêmes, des morts, des messes de trois paroisses… lui accordait bien peu d’écoute, le prenant pour un genre d’hérétique inoffensif.

— Albin, t’es de mauvaise foi, lui disait-il. Tu sais bien qu’il s’agit d’immortalité plutôt que d’éternité. Immortel veut dire que tu nais, mais ne meurs jamais.

 Je comprends, M. le Curé. Ça commence, mais ça ne finit pas.

 C’est ça!  

Puis, remarquant son regard dubitatif que lui donnaient ses yeux anormalement ronds et fixes, il rajouta : « Qu’est-ce qui ne marche pas? »

 Les prochains qui naîtront n’existent-ils pas un peu avant, sans le savoir?

— NON, ils ne sont pas!  lui rétorquait le prêtre avec une certaine impatience dans le ton. C’est simple : ou tu nais, ou tu n’es pas. Mais si tu es, c’est pour toujours. Le corps meurt, mais pas l’âme. Comprends-tu?

 Depuis quand suis-je?

 Mais depuis ta naissance, voyons, c’est bien évident! répond le curé péremptoire (pas son nom).

 Mon âme aurait (donc eu)* besoin d’un corps, alors?

— …

   Et la spirale du doute reprenait… Et ça n’en finissait plus…

   La plupart s’épuisaient à discuter avec lui.

   Mais tout ça, c’était avant l’accident.

Vous vous rappelez l’article dans le journal, il n’y a pas si longtemps, on rapportait et je cite : « À l’hôpital Notre-Dame, un homme dans la trentaine est décédé à la suite de ce qu’il semble être une erreur médicale. Un mauvais dosage de succinylcholine  et de sufentanil, produits utilisés en anesthésie, aurait entraîné la mort du patient lors d’une opération de chirurgie esthétique au nez. Une enquête est ouverte afin d’éclaircir les circonstances du drame. »

   Tout ça, c’était avant l’accident.

   Ou après...

   Je ne sais plus.


***

* Les parenthèses sont de moi.


dimanche 2 mars 2014


H.
 
  
 « Suis-je mort? »

   Si vous avez mal aux dents, tout le monde comprend votre mal, mais personne ne le ressent à votre place. Vous êtes seul au monde. Le fou a son univers propre, on ne peut pas communiquer avec lui, parce que nous sommes objets de sa conscience. Il est souverain.

  « Suis-je mort? Comment le savoir? » 

   Albin H. depuis toujours se morfondait avec de telles questions. On se limitait à écrire H. pour ne pas s’aventurer dans l’orthographie de son nom de famille impossible : Hevbrünovlasky Zvenn (avec deux n). Il tenait ça de son père, Monsieur H., ancien boursicoteur bien connu qui avait fait fortune dans le hasard en prenant des chances sur des actions fort risquées.

   Albin, jeune trentenaire solitaire, assez grand, plutôt blond, modérément laid, avait, disons-le, un gros nez. Ah, pas une péninsule, n’exagérons rien, mais un assez immense appendice qui lui partait du front et n’en finissait plus. Il s’en complexait, c’est bien sûr – j’aurais bien voulu vous voir à sa place. Il a cherché toute son adolescence à apprivoiser la chose. Mais les miroirs étaient de glace et lui retournaient toujours une image caricaturale. Il avait beau négocier les angles, le constat restait le même : pas beau. Vraiment pas beau. Un si long nez fait loucher forcément, il lui fallait faire de grands efforts pour voir plus loin, ce qui lui donnait un regard de chouette. En écarquillant autant les yeux, on remarquait moins son nez. Petite diversion commode, comme un boiteux boitant de l’autre pied. On ne savait plus où regarder.

 

   Enfin, passons là-dessus, il n’y a pas que le physique dans la vie. Il y a aussi la chimie : un mélange unique des fluides qui forme le caractère d’une personne. Dans son cas, la mixture avait engendré un être rêveur, contemplatif, philosophe. Son activité préférée était de ne rien faire. Il y consacrait tout son temps libre, ne travaillant que pour se reposer. Observer, entendre, sentir, dormir, veiller, penser. Comme un chien finalement, toujours le nez en l’air. Les chiens pensent, ils n’ont que ça à faire. Même quand ils dorment, ils rêvent. On se méprend beaucoup sur leur compte, ils sont fort occupés intérieurement. Si on a le temps, tantôt, on y reviendra, pour l’instant restons dans le propos.

 

   Un soir donc, qu’il était occupé à ne rien faire, il eut encore cette affolante sensation de ne pas être. « Suis-je mort? » s’inquiéta-t-il. (Une idée absurde, oui d’accord, mais qui nous arrive parfois comme une vérité les pattes en l’air. Faut la prendre par en dessous, ce qui exige une certaine flexibilité).

   Il ne doutait pas de sa présence dans l’existence, mais plutôt de son absence. Était-ce l’effet de la drogue ou de l’extrême réflexion? Les deux troublent l’esprit. Ces prises de consciences aiguës se transformaient ainsi en crises d’existence graves, particulièrement depuis son appendicite vermineuse; pas tant de l’opération subie que de l’anesthésie qui l’avait précédée. Il en avait gardé des séquelles un peu comme l’épilepsie quelquefois à la suite d’un traumatisme crânien.  

En regardant l’anesthésiste le piquer dans le bras il avait pensé : « J’espère que ça va marcher son truc ».

—  Comptez jusqu’à cinq, vous allez partir à trois, lui avait dit le médecin, gouailleur.

   « Un, deux, tr… Merde! Ça n’a pas marché », il entendait parler autour de lui. Un frisson lui parcourait le corps. Une tête rieuse s’est penchée sur lui, celle du chirurgien Goguenard (son nom) : « Elle était grosse comme ça. Une vraie balle de tennis. On a bien fait d’opérer. »  Tout ça ressemblait à un mauvais montage dans un film : le héros entre dans une maison et on le retrouve sur un radeau en pleine mer. Où était-il tout ce temps? Et comment parler de temps, il n’y en avait pas eu? Même pas la sensation qu’on en a en dormant. Zéro activité. Zéro existence. Il serait mort, qu’il ne le saurait pas.
 
                                                                   Suite la semaine prochaine