H.
( suite )
Pour
un esprit tourmenté comme le sien, un Don Quichotte dégainant sur toutes
affirmations présomptueuses, cette expérience ne passait pas. La plupart des gens
ne portent pas attention à ces petits indices du grand mystère, mais lui, il flairait
les choses et l’enquête virait à l’obsession. Pris de vertige, il téléphona à
Bertrand, son frère, le seul être au monde qui ne le prenait pas tout à fait
pour un fou.
—
Suis-je mort? demanda-t-il à Bertrand.
—
Ah, t’es fatigant avec ça,
s’impatientait l’autre, je te le dirai quand tu le seras.
—
Non, il sera trop tard.
—
Écoute ben, Albin, tant que tu te
poseras la question, tu ne seras jamais mort, lui assura Bertrand. (Réponse
toute cartésienne, mais impossible à vérifier. Ça ne statue que sur un état, et
le plus évident. Mais qu’est-ce que ne pas être? … silence radio…)
—
Quand je ne me pose pas la question, est-ce
à dire que je suis mort? (Tiens! Voyez
ce que je disais. Bien répondu, Albin!)
—
C’est ton problème. Si tu croyais en
Dieu aussi, ou à une vie après la mort, ou la réincarnation, ou je ne sais pas
moi… comme tout le monde finalement, tu saurais que tu le serais.
À cet argument, H. avait toujours cette
réflexion : « Avant de naître, savions-nous que nous n’étions pas? ».
Les croyants lui répondaient invariablement que c’étaient parce que nous
n’existions effectivement pas encore, mais maintenant que Dieu nous avait créés,
c’était pour l’éternité.
Ouais,
l’éternité avec un début… ça ne lui rentrait pas dans la tête. Ça suppose que
nos prédécesseurs ont une éternité plus longue, et ce n’est pas juste.
Adolescent, quand il avait une soudaine
crise de foi, il courait consulter le curé de sa paroisse. Ce dernier trop
occupé aux offices des mariages, des
baptêmes, des morts, des messes de trois paroisses… lui accordait bien peu
d’écoute, le prenant pour un genre d’hérétique inoffensif.
—
Albin, t’es de mauvaise foi, lui disait-il. Tu sais bien qu’il s’agit
d’immortalité plutôt que d’éternité. Immortel veut dire que tu nais, mais ne
meurs jamais.
—
Je comprends, M. le Curé. Ça commence,
mais ça ne finit pas.
—
C’est ça!
Puis,
remarquant son regard dubitatif que lui donnaient ses yeux anormalement ronds
et fixes, il rajouta : « Qu’est-ce qui ne marche pas? »
—
Les prochains qui naîtront
n’existent-ils pas un
peu
avant, sans le savoir?
—
NON, ils ne sont pas! lui rétorquait le
prêtre avec une certaine impatience dans le ton. C’est simple : ou tu nais,
ou tu n’es pas. Mais si tu es, c’est pour toujours. Le corps meurt, mais pas
l’âme. Comprends-tu?
—
Depuis quand suis-je?
—
Mais depuis ta naissance, voyons, c’est bien
évident! répond le curé péremptoire (pas
son nom).
—
Mon âme aurait (donc eu)*
besoin d’un corps, alors?
—
…
Et la spirale du doute reprenait… Et ça n’en
finissait plus…
La plupart s’épuisaient à discuter avec lui.
Mais tout ça, c’était avant l’accident.
Vous
vous rappelez l’article dans le journal, il n’y a pas si longtemps, on
rapportait et je cite : « À l’hôpital Notre-Dame, un homme dans la
trentaine est décédé à la suite de ce qu’il semble être une erreur médicale. Un
mauvais dosage de succinylcholine et de sufentanil, produits utilisés en anesthésie, aurait entraîné la mort
du patient lors d’une opération de chirurgie esthétique au nez. Une enquête est
ouverte afin d’éclaircir les circonstances du drame. »
Tout ça, c’était avant l’accident.
Ou après...
Je ne sais plus.
***
*
Les parenthèses sont de moi.