dimanche 21 juin 2015


 
Voleur maintenant
 

 
   Il ne manquait plus que ça! Voleur de bonbons, mais voleur quand même.   L’essai, pourtant était bien, mais… comment dire? Pas de conviction.  Le pire c’est que je le savais dès le début, dès que j’ai descendu l’escalier menant au petit dépanneur que tenait notre voisine, Mme Dionne, je savais que ce n’était pas bien, que je me ferais prendre, que ça irait mal, que je n’en profiterais pas.

   Les dimanches avant-midi son commerce était fermé. Or, un de ces matins-là justement nous étions en train de jouer dans la chambre de la petite voisine, au deuxième étage de la maison des Dionne quand j’ai remarqué au bout du corridor une porte qui donnait probablement sur l’autre partie de la maison, celle du magasin. Alors profitant de leur inattention, je disparus furtivement pour m’engager dans  cet antre sombre aux stores fermés, rempli de trésors. Le cœur me débattait, j’étais fébrile, tout excité, je me sentais comme un…, comment un enfant dans un magasin de bonbons! Sur la pointe des pieds (évidemment, sur la pointe des mains j’aurais déboulé), j’ai descendu et je suis passé de l’autre côté du miroir, le côté magique, celui qui donne accès à toutes ces choses magnifiques. La corne d’abondance, là sous mes yeux, à portée de main.

   Un voleur, je veux dire un vrai, un pro, ne prendrait pas la peine de choisir comme quand on a trois sous et qu’on cherche en avoir le plus pour son argent, moi, l’épais, je magasinais, prenais un temps fou à me décider. Je m’étais sorti un petit sac brun, et j’attendais que le client se décide. Idiot.

   Quand soudainement j’ai entendu la porte du haut s’ouvrir, j’ai bien senti la fin du rêve. Vite, je m’en suis mis trois dans les poches, un dans la gueule. Les pires. Ceux que je n’aurais jamais choisis. Une des grandes filles de madame Dionne est arrivée comme la police fait Haut les mains!

    Qu’est-ce que tu fais là ?  

   Dans ma tête je cherchais désespérément une explication, je m’en voulais de ne pas en avoir préparé une.  Un manque d’expérience.  Je me rappelle seulement  lui avoir dit : « tu ne le diras pas à mon père ? »  Je me souviens qu’elle a dit non et qu’elle n’a pas tenu parole. Il y a comme ça des gens sans scrupules! Mon père l’a su, et vite à part ça.  Sycophante !  

   J’ai eu droit à la remontrance.  Oh, pas la grosse affaire. Pas le grand déshonneur.  La simple remontrance.  Je crois qu’il savait qu’il s’adressait plus à un idiot qu’à un voleur.  En tout cas, moi je le savais.

   Mais idiot ?  Pas tant que ça.  Je l’ai dit, tantôt, j’avais peut-être cinq ans, mais je savais exactement ce que je faisais.  J’ai fait exprès pour me comporter comme un enfant de trois ans.  J’en aurais eu vingt-cinq que j’aurais joué à me faire passer pour un enfant qui commet un geste mignon plutôt qu’un vol. Un alibi d’innocent, si vous voulez.    Je ne pouvais juste pas passer à côté d’une telle occasion.  C’était comme irrésistible, un fantasme à assouvir.  Plus tard je ne pourrai plus jamais faire ça.  Enfin, je crois…


   Bon.  Voilà.  On oublie ça.  Pas voyou, pas brutal, pas fugueur, pas voleur.  Que laid et épais. Pour l’instant.


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DERNIÈRE PUBLICATION.   
 DE RETOUR EN SEPTEMBRE
 
 
 
 

dimanche 14 juin 2015


 
 Lacroix du diable

 

   Il n’y a d’autorité que si elle est acceptée. L’autorité par la force ce n’est pas de l’autorité, c’est de la force. Un enfant qui refuse l’autorité, on ne peut que le battre, comme une bête sauvage qu’on essaie de contenir.   Sans communication, sans rapport de confiance, il n’y a que la peur, que la lutte, que la fuite. L’autorité, sans caution morale, ne peut tenir longtemps comme ça à bout de bras.

   Je pense à un de mes petits voisins. Mal habillé, puant, sale, galeux. Lacroix, qu’il s’appelait.  Voisin d’en arrière, une autre rue, autant dire un étranger. Sans foi, ni loi. Un voyou lui, un vrai. Il n’avait pas besoin d’être aimé celui-là; il était libre. Personne n’en venait à bout : ni son père, ni sa mère, ni l’école, ni l’église. Six ans, et déjà tout d’un pendu. 

   Fort? Je ne sais pas.   Je ne me suis jamais battu avec. Je lui criais des noms et je me sauvais. Je n’ai jamais aimé me tirailler, je n’aime pas sentir de la peau sur ma peau. Surtout quand je me retrouve dessous.   Même pour jouer j’aime pas ça.  Il y a juste mon petit frère que je peux battre à mon goût. Mais j’arrête avant qu’il pleure. Chut! Tais-toi. S’il ne se tait pas, je n’ai plus le choix, je dois l’étouffer. Sauf que je n’ai pas eu besoin de le tuer jusqu’à présent. Je me mets plutôt à le distraire, lui inventer une histoire, lui lancer des bonbons, va chercher! Et la plupart du temps ça marche. 
   Puis, je reviens à de meilleurs sentiments.
   Mais Lacroix, ce n’était pas pareil. Lacroix, c’était, en soi, une activité au programme.   On se réunissait quelques-uns et on le traquait. C’était du safari. Il ne fallait pas s’aventurer trop près, attention! Il fallait rester de ce côté-ci de la barrière.     

   Qu’est-ce qu’il nous avait fait? Rien. Il était différent de nous, c’est bien assez. Il puait, aussi. Il était méchant. Tout le monde le disait, alors ça devait être vrai. La clôture n’était pas là pour rien! 
   Dès qu’on était en nombre, on était ennemi – en groupe il y a une dynamique qui tranche bien nettes les positions, mais autrement, seul à seul, on était plutôt copains. Chacun de son côté de la clôture, on se parlait, on se passait des jouets, on riait.   Je le trouvais même assez drôle et généreux, toujours prêt à partager la mangeaille. Le contraire de François, mon meilleur ami parce que mon voisin immédiat. Il faisait exprès, lui. Quand il y pensait, il rentrait chez lui se prendre une collation et venait me manger ça sous le nez. Refusant net tout partage. C’était pour lui une façon de se rendre intéressant, de se sentir exister à travers l’envie des autres.   

   Lacroix, lui, n’avait pas à être envié pour être. Il existait par la chasse qu’il provoquait. Quand je dis la chasse, il faut s’entendre, c’était plutôt la raillerie; on se mettait à plusieurs et on l’écœurait à travers le grillage (solide) de la clôture. Comme un animal en cage on le faisait circuler de gauche à droite et de droite à gauche, selon d’où fusait l’insulte. Chacun y allait de son cru.     

Je me souviens de m’être trouvé très intelligent un jour en lui criant des noms. J’avais découvert, tout seul, cette phrase assassine : Lacroix! La croix du diable!

Wow, c’est moi qui ai dit ça?
Wow! Je crois l’avoir répété plusieurs fois.
Subtil, n’est-ce pas? 
La croix, c’est de Dieu qu’on parle d’habitude, mais lui, il s’appelait Lacroix et il était méchant comme un diable. Alors, l’effet des deux me semblait une trouvaille. 
Je me souviens de m’être trouvé très intelligent.

Même la nuit, je me la repassais celle-là. 

                                                                       Hi hi hi.
 
 
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dimanche 7 juin 2015

 

Apollinaire               

(Paroles et musique : Serge Timmons)

 
 
 
On m’a vu le torse gonflé, le cœur fier
On m’a vu descendre le boulevard hier
Avec un animal en couettes et en jupon
On nous a vus traverser ensemble le pont
 
J’ai pourtant croisé plusieurs qui,  revenant,
Tenaient dans leurs mains leur cœur palpitant
Je n’ai pas compris leurs regards tristes à mourir
Alors je leur ai fait l’aumône d’un sourire
 
 
Je n’ai pas vu non plus ces ombres devant nous
J’en aurais noté trois, mais j’ne comptais que vous
Je vous récitais, sans peine, tout Apollinaire
« L’amour s’en va comme cette eau courante »
L’amour s’en va… Vous étiez absente.
 
Alors on a pris un amour raccourci
Votre cœur craignait les intempéries
Comme une plaisanterie,  vous pensiez que notre amour
Serait bien meilleur s’il était plus court
 
Moi je n’ai rien dit, je n’ai rien pensé
J’avais une blessure profonde à panser...
 
Je n’avais jamais,  même,  fait l’amour avant vous
Vous étiez ma première, mon premier rendez-vous
Je vous récitais, sans peine, tout Apollinaire
« L’amour s’en va comme cette eau courante »
L’amour s’en va… Vous étiez absente.
 
Ne vous trompez pas l’amour est violent
Arrive, met le feu, arrache en s’en allant
Un cœur qu’on sentait battre pour la première fois
Mon cœur qui a perdu l’amour et la foi
 
Toi tu m’aimes, mais moi j’en aime une autre
Qui en aime un autre qui en aime une autre
En fin de compte on y perd presque toujours
Lorsqu’on laisse nos affaires de cœur à l’amour
 
 
Je ne serai plus jamais le même après vous
Comme on revient de guerre et qu’on vit malgré tout
Je sais maintenant toute la peine d’Apollinaire
« L’amour s’en va comme cette eau courante »
L’amour s’en va…  mais jamais l’absente

 
 


 
                                    Copyright © 1978  S. Timmons
 
 
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