dimanche 24 septembre 2017


 

Devoirs et leçons

 

   Après souper, on s’installe sur la table de la cuisine, ma sœur et moi, puis on fait nos devoirs.  Maintenant, je sais lire et écrire, je suis en deuxième année.  Je suis deux fois plus intelligent que l’année passée.  En ouvrant mes cahiers, on peut y voir la carte du ciel tellement qu’il y a d’étoiles brillantes et des anges collés au haut de chaque page.  Je suis bon élève.  Lunatique, peut-être, mais je me rattrape vite quand ça compte.

   Un de mes trucs, c’est d’apprendre en enseignant. Je vais dans ma chambre et je repasse mes leçons devant Paulo très impressionné assis par terre devant moi.  Je lui montre ce que j’ai appris dans la journée. 

   — Tu sais Paulo, il y a 7 péchés capitaux.  SEPT. Très exactement. La Gourmandise, la Paresse, l’Orgueil, la Colère, l’Avarice, l’Envie, la Luxure.

     Que cé ça veut dire ?

     Euh... La gourmandise, c’est quand t’en veux encore, la paresse, c’est quand tu veux te reposer, l’orgueil, c’est quand t’es fier de toi, la colère, c’est quand tu te fâches, l’avarice, c’est... euh, je me souviens pu, une maladie, je pense, l’envie, c’est... c’est quand t’as envie...

  Hein, cé t’un péché ?

— Eh oui, moi aussi j’étais surpris, c’est un péché, c’est pour ça qu’il faut se dépêcher.  Et puis... attends, y en manque un. Voyons... c’est quoi donc... ah oui, la luxure. C’est un beau mot hein ?

— Cé quoi ça veut dire ?

— C’est quand les gens veulent trop faire l’amour?

— Cé un péché ?

— Oui. La guerre, non, mais l’amour, oui !

— ...

— Pis c’est pour ça qu’on fait des péchés MORTELS...

— ... (Paulo me regarde les yeux ronds)

  Pis si tu meurs avec ça, tu vas en ENFER...

— ... (Paulo déglutit difficilement)

  Pis en enfer, tu vas BRÛLER...

— ... (Paulo est catastrophé)

— Pis tu brûleras pour TOUJOURS...

  Mamaaaaaannn !

— Chut ! Tais-toi.  Veux-tu apprendre ou pas ?  Quand je dis toujours, je veux juste dire pour l’éternité.

— Cé quoi l’éternité ?

— Ça veut dire que ça finit jamais.

— Jamais ?

— Jamais, jamais. Toujours, toujours, jamais, jamais.

   Bon, manifestement, il ne comprenait pas. Comment imaginer quelque chose qui ne finit jamais?  Je devais trouver un exemple, faire une démonstration scientifique qui allumerait une petite lumière dans l’obscurité opaque de l’ignorant.  Alors, j’ai eu une idée brillante. J’ai pris mon ballon de dessous de mon lit, puis j’ai expliqué.

— Tu vois, si tu mets ton doigt sur le ballon, tu peux en mettre un autre juste à côté. Puis un autre juste à côté, puis un autre, puis un autre... comme ça sans arrêt.  Pis quand t’as fait le tour, tu peux encore rajouter ton doigt, pis un autre, tout le temps comme ça.  C’est ça l’éternité : quand ça finit, ça recommence... Toujours en train de recommencer, donc ça finit jamais. 

(Je me considère un bon pédagogue)

   Médusé, étourdi, abasourdi, interloqué, tout ça et encore, mon élève a poussé un grand soupir de soulagement quand maman est venue le chercher pour le coucher.  Je l’ai laissé aller à son cauchemar, de toute façon, j’avais terminé ma leçon.

   Mais c’est plutôt moi qui ai mal dormi, car je pensais à mon histoire de ballon.  Si ça finit jamais, comment ça peut commencer ?  Avant mon premier doigt, je pouvais mettre un autre doigt, juste avant, et encore un autre devant, et ainsi de suite.  S’il n’y a pas de bout pour finir, il n’y en a pas non plus pour commencer.  En tout cas, pas sur mon ballon.  Donc, l’éternité ne commence pas.

   Par conséquent, où étais-je avant de naître ? Aïe, aïe, aïe !  Faut qu’on m’explique.

   Puis, une autre affaire : si seule mon âme est éternelle et pas mon corps, et que je vais en enfer (comme prévu), qu’est-ce qui brûlera?  Aïe, aïe, aïe !

   Le lendemain, les yeux cernés, j’ai été voir maman.  Elle m’a expliqué que notre âme n’est pas éternelle, mais immortelle, c’est pas pareil.  Donc, ça peut commencer et ne pas finir.  Elle a un peu dessoufflé ma balloune. Ainsi, l’éternité avec un début, ça se peut.

   Alors, j’ai été voir Paulo et je l’ai nargué : « Mon éternité est plus longue que la tienne ! »

                                                       La, la, la, la, lèreuuuu....
 
 
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