Flashbacks (suite)
Des combines, un habit de
neige gris en toile raide, j’ai l’air du robot dans OPÉRATION MYSTÈRE. Une
éponge dans le fond du capuchon, les patins blancs de ma sœur (des patins de
fantaisie, donc), je m’en vais patiner chez monsieur Dionne. Oh, pas longtemps…
Le temps de faire quelques figures acrobatiques, dont un axel improvisé que je
finis immanquablement sur le front.
*
Patinoire dans la cour de
monsieur Dionne, autre jour. Mais cette fois, en bottes. J’ai convaincu Paulo
d’être gardien de but, et je pratique mes super garnottes avec le bâton de hockey de Denis. C’est pas encore tout
à fait au point. Chaque fois que je compte un but, on a toujours l’impression
que c’est la reprise au ralenti… Paulo est gelé dur, c’est vrai qu’il fait
froid à pierre fendre (dirait Félix Leclerc). Moi aussi je suis transi, mais la
partie n’est pas finie, j’ai encore mon revers à pratiquer en comptant au moins
un but de cette façon. Ce qui peut être long.
Fin d’après-midi d’hiver, le
ciel est en feu. On sent que le soir va rapidement tout engloutir telle une
marée montante. Dans un moment, nous allons rentrer morveux, les joues froides
rouges à éclater, et en nous déshabillant dans cette maison chaude et éclairée
nous allons sentir la tourtière que maman fait cuire au four. Le bonheur n’est
jamais bien loin, et rarement compliqué.
*
Parlant de Paulo, c’est un bon
public pour moi, lui. Mon cousin, Jean-Claude, est venu chez nous l’autre jour
avec une guitare électrique et nous a fait quelques chansons. Pas long que je
m’en suis fabriqué une, moi aussi : une planchette, un manche en bois, du
fil à pêche, une boîte en carton que j’ai transformée en amplificateur, un
vieux fil électrique, et on y est. Guéling,
di guéling, dé guélang, je joue par oreille et de mémoire à peu près les
mêmes airs que mon cousin. J’apprends très vite. Bien sûr, je fais un peu le ventriloque,
mais seulement pour amplifier le son. Mon public en tout cas est impressionné,
c’est ça qui compte.
*
Quand je ne sais pas trop quoi
faire dans la journée je traverse chez monsieur Dionne qui cordonne… qui
soulière… qui… qui est cordonnier. Je m’assois et je le regarde travailler. Il
me laisse faire. On ne se parle à peu près pas. Ça sent le cuir, le
vernis, la boutique, le travail : ça sent bon. Un client entre, me
remarque à peine et je les écoute jaser. Ils me prennent pour un innocent. Ils
ne se préoccupent pas de moi, pourtant je sens que je pourrais intervenir dans
chacune de leurs conversations et leur dire des choses étonnantes… mais je
m’abstiens, profitant de mon immunité infantile. Je passe pour mignon,
profitons-en.
***