On avait l’air de trois petits
bonshommes de neige qui débarquent dans la maison. Une tempête de neige! On ne
pouvait pas manquer ça.
– Marchez pas avec vos bottes en
d’dans! Allez-vous s’couer dehors, nous a crié maman en passant d’un pas
rapide, une pile d’assiettes dans les mains.
– Là, vous trois, vous allez
aller faire un p’tit dodo, parce que ce soir vous vous couchez tard, nous a dit
grand-maman pendant qu’elle déneigeait mon petit frère, Paulo.
Même qu’on ne se couchera
peut-être pas du tout, la messe est à minuit. On avait déplacé les meubles,
aligné des chaises, allongé la table, installé des guirlandes en papier rouge
et vert au plafond, il y avait une dinde au four. Vraiment, on ne se couchera
pas de sitôt. À la radio jouaient des airs
de Noël entrecoupés de bulletins météo.
Une tempête de neige fait
présentement rage sur l’ensemble du Québec. Au moins dix pouces de neige sont
tombés jusqu’à présent. De plus, à certains endroits, d’importantes
accumulations se sont formées par les violentes rafales notamment sur la région
de la Mauricie rendant plusieurs routes impraticables. La police provinciale
avise la population de redoubler de prudence et d’éviter d’emprunter les routes
secondaires.
Nous reprenons le cours de notre
émission LES BEAUX CHANTS DE NOËL, et vous reviendrons avec un bulletin plus
détaillé dans la prochaine heure. Merci de demeurer à l’écoute... « Vive
le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver qui s’en va soufflant, sifflant
dans les grands sapins verts… » entonnait le chœur des Petits Chanteurs de l’Estrie.
– Eh, que ça tombe mal!
Germaine viendra pas, c’est sûr. Ils partiront pas de Québec dans une tempête
comme ça. Appelle donc, voir! demandait ma mère à mon père.
– Julien, non plus, je
croirais ben, a rajouté grand-maman, le connaissant, il est assez peureux. Et
pis Montréal, c’est pas à la porte, non plus.
– Ouais, ben! On va slaquer su lé sandwichs, a rétorqué mon
père, pragmatique.
Dommage que ce soit si
dérangeant, c’est tellement beau, pensais-je, en regardant le blizzard par la
fenêtre. On ne distinguait rien à trois maisons de nous, ça aurait pu être
l’océan derrière ce nuage opaque décroché d’un ciel trop sombre pour une fin
d’après-midi. Par moment, en bourrasque, le vent venait siffler dans les
fenêtres mal isolées en faisant des fffwwouiiiiiii des fffwwwaaa, cognait quelques coups dans la
vitre pour nous faire peur, puis repartait tourbillonner sur les bancs de
neige. C’était vraiment excitant. Comment m’endormir au milieu de cette mer
déchaînée?
En bas, ça bougeait. Des
bruits de vaisselles, de meubles tirés, de téléphone qui résonne à tout bout de
champ au travers des chants diffusés à la radio. Comment m’endormir dans toute
cette agitation inquiète et malgré tout heureuse?
Je n’avais pas eu à me poser
la question une troisième fois, je me réveillais. J’avais déjà dormi presque
trois heures. J’ai descendu l’escalier en vitesse, espérant n’avoir rien
manqué.
– Tiens, t’es levé toi! Va
t’habiller, ils vont arriver bientôt, m’a tout de suite ordonné ma mère.
– Mireille, elle? (Un
automatisme)
Elle était déjà debout, déjà habillée (en princesse, évidemment) et
aidait à mettre la table. Je me suis repris :
– Paulo, lui?
Il était dans le salon,
habillé lui aussi, en train de manger une collation. Bon, si personne ne
coopère, je vais donc aller me changer.
Le vent maintenant était tombé.
Il neigeait encore pas mal, mais on pouvait voir au travers les mailles du
rideau. Justement, j’apercevais mon père en train de déneiger encore une fois
l’entrée.
Dans la maison on ne respirait
plus sans avaler en même temps une part de tourtière, un fumet de dinde rôtie,
quelques vapeurs d’un ragoût de pattes. C’était carrément envahissant, presque
du bruit. J’avais du mal à me concentrer sur autre chose. Je devais, par
exemple, m’approcher à deux boules du sapin pour enfin saisir, comme un doux
murmure à l’oreille, sa discrète et suave émanation.
Tout le monde endimanché
attendait la visite avec cette petite nervosité agréable de vouloir être à son
meilleur. Nous, les enfants, on était collés à la fenêtre, scrutant le moindre
mouvement qui pouvait ressembler à une auto tournant au coin de la rue. Ils ne
devraient plus tarder. À tour de rôle, on se relayait le temps d’aller gober un
poisson rouge à la cannelle ou une tuque de chocolat dans les petits plats de
verre taillé déposés sur le buffet.
Il neigeait toujours, mais
juste pour la beauté de la chose. Pour faire carte de Noël avec toutes ces
guirlandes illuminées des maisons sur la rue. Soudain, une voiture a ralenti
devant la maison. Ça y est! La visite. Mon oncle Julien (le peureux?), était le
premier arrivé. On y distinguait ma tante Carmen et nos deux cousines, Julie et
Francine dans l’auto. Des grandes cousines. Pas bon, ça! C’est les autres qu’on
a hâte de voir. Dès qu’on a sonné à la porte, Paulo et moi, on est parti comme
des balles nous cacher au fond de la cuisine. On riait, on criait, on faisait
les sauvages, pendant que Mireille allait gentiment leur ouvrir la porte.
À toutes les dix minutes
maintenant, ça sonnait. Et à chaque coup, Paulo et moi, on se mettait à hurler
comme des loups. On ne sortait pas de la cuisine. Planqué derrière le poêle,
j’envoyais Paulo nous ravitailler : apporte-moi
des jujubes! Des rouges! Et je restais là à épier les allées et venues de
mes oncles et mes tantes dans le passage qui mène à la toilette. Mais, la
plupart du temps c’était maman que je voyais passer les bras chargés de
manteaux pour aller les étendre sur nos lits.
Au bout de quarante-cinq
minutes, ma mère, qui avait fini par oublier notre existence, nous a remarqués
en venant dans la cuisine préparer le plateau des liqueurs.
– Qu’est-ce que vous faites là,
vous autres? Allez saluer vos oncles et vos tantes, qu’elle nous a dit en
remplissant les verres.
– Matante Juliette est-tu
arrivée?
– Ben oui, ils viennent
d’arriver.
– Jacques est-tu là?
C’était le seul cousin de mon
âge que j’avais envie de voir. Quand ma mère a acquiescé, j’ai fait signe à
Paulo qu’on pouvait y aller. C’était le temps… sinon on manquait la liqueur. On
est entré dans le salon sous les oh! et
les ah! comme ils ont grandi! Exactement
ce qu’on redoutait : l’eau froide qui vous mord l’orteil. Mais bon,
fallait se saucer à un moment donné. Je m’étais tout de suite dirigé vers
Jacques et tous les deux, habillés comme des vendeurs de tapis, on ne savait
pas trop quoi se dire :
– Salut!
– Salut!
Maman passait le plateau :
du coke, de la liqueur fraise et orangeade. Mon père offrait des bières à mes
oncles. Toute la visite assise bien droite sous trop d’éclairage parlait
évidemment de la température et des routes impossibles qu’elle avait dû prendre
pour se rendre jusqu’ici. Ça faisait beaucoup de monde qui parlait tous en même
temps, riait, s’examinait. J’ai amené Jacques dans la cuisine pour qu’on puisse
échanger un peu.
– Qu’est-ce que t’as demandé à
Noël? dis-je.
– Un train électrique. Toi?
– Plusieurs affaires : un
camion de pompier, des minibriques, un jeu de hockey, une ferme miniature, une
carabine à air, une ceinture de cowboy et… moi aussi, un train électrique.
(J’avais le goût d’impressionner). On a jasé longtemps, comme ça, en gens du
monde, un verre à la main, mais plus question à présent de grignoter quoi que
ce soit. Il était passé neuf heures; il fallait se garder au moins trois heures
de jeûne avant de communier.
À onze heures et quart, mon père
a dit : « Ben, c’est l’heure d’y aller, si on veut avoir de la place ».
Tout le monde a repris son manteau, son chapeau, son
foulard, puis, dans les rues à moitié déneigées, le cortège s’est mis en route
vers l’église. D’un ciel profond, paisible maintenant que soulagé, on ne
recevait plus que des flocons retardataires éclatants de blancheur sous les
lampadaires. Le vent à cette heure était à plat, complètement essoufflé, tandis
que dans ma tête me revenait constamment cette chanson comme pour le ranimer :
« Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver! »
***