dimanche 28 septembre 2014


 

Innocent 


   Innocent quand on l’est, c’est pour la vie. Il n’y a pas longtemps, en me joignant à un groupe de participants à la loterie, on m’a demandé de choisir une combinaison de chiffres pour le prochain tirage du 6/49. J’ai donné 1, 2, 3, 4, 5, 6. On a ri de moi, on m’a dit d’être plus sérieux. Alors, j’ai lancé  7, 23, 28, 32, 34, 41. Ça leur a paru beaucoup plus raisonnable.


   La plupart des gens ont une idée bien définie de ce que les choses devraient être. Le hasard, par exemple, c’est toujours invraisemblable. Par contre, l’explication du monde ou du début de l’humanité, c’est beaucoup plus simple : « ben, voyons, c’est en 7 jours. Et à partir d’un homme et d’une femme. D’ailleurs, on a des noms : Adam et Ève. »


   Pourquoi aller imaginer une histoire complexe d’évolution d’amphibiens qui se retrouvent un jour dans les arbres pour finir au bout de centaines de siècles par descendre au sol, se mettre à marcher à quatre pattes dans la brousse, se levant à l’occasion sur leurs pattes de derrière pour voir venir, tant et tant que finalement, après des milliers d’années, leurs membres inférieurs deviennent des jambes et que leurs membres supérieurs, ainsi libérés, leur soient utiles à fabriquer des outils qui leur permettront un jour de conduire une décapotable, la radio au fond? Hum?

   Pourquoi ne pas se rendre tout de suite à l’évidente explication de TOUT.  Tout, tout, tout : DIEU. La raison de tout, le sens à tout. Quand on comprend ÇA, on a tout compris. 

   Mais comment faire? Ses voies sont impénétrables. Il nous faut alors écouter ce que disent ceux qui l’ont pénétré un peu, ces gens de foi, les élus à qui le Seigneur se révèle. Pour ça, faut d’abord croire en Dieu, croire ensuite que Dieu leur a fait signe, et croire, enfin, que ce qu’ils nous racontent c’est bien ce que Dieu leur a dit. Ça fait beaucoup de croyances sur le coup, mais après ça simplifie la vie; on a une police pour nous défendre et un clergé pour nous détendre, on peut se consacrer à autre chose. Si les curés disent en 7 jours, on n’a pas à se casser la tête plus longtemps, c’est en 7 jours. 

   Ma vie enfant était ainsi réglée. Papa a raison, maman tient la maison, les adultes savent tout et le curé est directement branché sur l’au-delà. Tout est réglé, on peut aller jouer en toute quiétude d’esprit et se rouler dans la béatitude de l’innocence.

Une petite prière tous les soirs avant de dormir me donnait droit à une demande spéciale « faites qu’il ne pleuve pas demain » ou donnait l’absolution à une faute « c’est moi qui ai mangé le chocolat de ma sœur. Vous, vous le savez, mais Vous ne lui direz pas, hein? »  Et la plupart du temps, ça marchait.

   Fantastique! Une petite prière puis, comme à un génie sortant d’une lampe, on faisait un vœu, et la plupart du temps... ça ne marchait pas! 

   Alors, j’allais voir maman pour me plaindre que ça ne marchait pas toujours ses affaires, et c’est là qu’on rentrait dans l’impénétrable. Elle m’expliquait que Dieu a un pouvoir discrétionnaire, que parfois on ne le mérite pas, que parfois il faut insister, que parfois ça nous prend l’intercession (quoi?), l’assistance de la Sainte Vierge, que parfois Jésus est occupé, que parfois le Saint-Esprit a l’esprit ailleurs, que parfois...  

   « OK arrête maman, j’ai compris, je vais m’arranger tout seul. »  Et là, j’allais voir François, pour lui dire : « t’es chanceux mon maudit, je n’ai pas obtenu la faveur que je voulais, mais m’as te casser la tête si tu m’en donnes pas. » 


            Et la plupart du temps, ça marchait.  


                                                                       Ça aussi.
 
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