dimanche 27 avril 2014


              La chaîne alimentaire         
 
Un merle a pris un ver
Un ver qui prenait l’air
Le chat caché dans l’herbe
A bondit sur le merle
Il a fait des morceaux
De ce petit oiseau
Qui avait pris un ver
Peut-être un ver de trop
 
On avait oublié
De garder attaché
Le chien méchant de Georges
Qu’y a eu un chat dans gorge
Le chat de mon voisin
Qui s’est mis en maudit
Et a tiré le chien
De deux coups de fusil
 
POW !  POW !
 
Dans la chaîne alimentaire
On est un morceau de viande
On aime son prochain, mon frère
Au moins pendant qu’on le mange
 
Dans la chaîne alimentaire
Y a pas de bout, pas d’abri
Si c’est pas les loups, mon frère
Ce sera les bactéries
 
On a pris le tétéphone
On a pris les moyens
La police a pris l’homme
Qui avait pris le chien
Qui avait pris le chat
Qui avait pris l’oiseau
Qui avait pris le ver
Le ver qui prenait l’air
 
Et l’homme qu’on mit en terre
Fut mangé par les vers
 
 
                                                            Copyright © 2012  S. Timmons

dimanche 20 avril 2014



 LES PETITS CHINOIS ET PÂQUES
 

   — Papa, j’ai besoin de cinq sous pour acheter des petits Chinois.

   Comment ça, c’est pas deux sous?

   — Oui, mais cette semaine il y a un spécial : 3 pour 5 cents. Regarde.


   Effectivement, dans mon cahier de devoir, la maîtresse avait bien fait la mention de l’offre. Notre classe, je crois, traînait sur les autres qui avaient déjà complété leur deuxième tableau et ça mettait un peu de pression sur nous.

   On n’était pas peu fiers d’aller coller le petit Chinois sous la colonne de son nom. Tous les vendredis maman nous donnait les deux sous que ça coûtait avant de partir pour l’école. Sauter une semaine n’était pas bien vu. Surtout qu’il y avait toujours un fendant dans la classe pour en acheter en paquet de cinq.

   La semaine suivante la promotion était bien sûr terminée, mais j’ai quand même tenté le coup :

   — Papa, cinq cents pour du Chinois. 

   — Demande à ta mère.

   — Maman, cinq cents pour du Chinois.

   — Demande à ton père.

   — Papa, maman veut que tu me donnes cinq cents pour du Chinois.

   J’en ai acheté un et j’ai gardé les trois sous pour me payer des négresses. Ça ressemble à mes petits Chinois, mais ça se mange.

   Un autre jour, avec mes sous un peu épargnés et les autres un peu volés, je m’étais acheté des pastilles de chocolat au lait en forme de rosette. J’en avais une bonne vingtaine dans un petit sac en papier brun. SAUF QUE, mauvais calcul, j’avais fait l’achat un mardi… Un Mardi gras ! Ce qui veut dire le lendemain, Mercredi des Cendres. Ce qui veut dire début du CARÊME! Et le carême, chez nous, on le faisait. On se pratiquait même toute l’année.


   J’avais déposé mon trésor au fond d’un tiroir de ma commode et j’avais dû me résoudre à dormir sous la torture de cette tentation odorante pendant quarante nuits. Et quarante jours! C’est même pas sur la page du calendrier tellement c’est long. Toute cette éternité à attendre, à me languir, les sentir, les compter et recompter, les imaginer, les couver, presque leur donner un nom à chacun. Dès que je revenais de l’école, j’allais, comme un junkie, prendre une snif dans mon petit sac. Je leur parlais et ensemble on comptait les jours : « plus que trente-deux jours mes petits, avant que je vous mange. Soyez bons. »  Et je refermais le sac reprenant un peu mes esprits.     

   Est-ce aussi dangereux que la colle? Est-ce que la privation ne crée pas certaines carences obsessives compulsives plus tard? Autrement dit, est-ce que ça rend fou? Je ne sais pas. Mais je sais, depuis ce temps, ce qu’est le désir : c’est la première, et je dirais même l’essentielle, prédisposition au bonheur. Chaque jour, imaginer le plaisir, goûter la chose par avance, c’est déjà vivre la plus grande part de l’extase… Mais, c’est frustrant!

   Plus que douze jours… Des effluves de chocolat sortaient du tiroir pour venir me chatouiller jusque dans mon lit et me réveiller durant la nuit.

   Plus que trois jours... Je pouvais maintenant les sentir n’importe où, simplement en me fermant les yeux. Juste à me les imaginer, mon cerveau déclenchait un genre d’enzyme chocolaté qui m’arrivait au nez.



    Puis enfin, Pâques est arrivé, ce dimanche pastel de l’année où l’on semble tous ressusciter en même temps d’une longue errance, débouchant abasourdis sur une immense clairière. Après l’interminable messe c’était la distribution des surprises, et le coup d’envoi : Sus au sucre! Chacun recevait un grand sac dans lequel il trouvait son chocolat en forme de poule, de coco ou de lapin et souvent aussi, un petit panier rempli de jelly beans sur de la paille factice. Parfois même un petit cadeau : une corde à danser pour ma sœur, une palette de bolo pour moi (l’affaire la plus plate au monde. Heureusement, ça pétait assez vite et on pouvait s’amuser avec la petite balle brune). 

     Ce jour-là, le sucre sortait de partout : des bonbons durs, des caramels mous placés un peu partout dans la maison, des biscuits et des desserts remplissant la table. Même, le jambon était aux ananas, les fèves au lard au sirop d’érable… Mauvaise journée pour les dents. 

   Je pense de plus en plus que la privation rend fou. 

   Avant même d’entamer mon coco, j’avais pris bien soin de quêter le plus possible à gauche et à droite « Maman veut goûter », « Mireille veut goûter », chipant des morceaux, ici et là, négociant la meilleure partie de la poule en chocolat de mon petit frère contre de vagues considérations futures, vidant la plupart des plats de bonbons laissés sans surveillance. Après, SEULEMENT APRES, je pouvais attaquer le mien, et là c’était sans quartier. 


   Oui, ça rend fou.

   Le soir, tournoyant dans mon lit, surexcité en même temps qu’épuisé d’une telle bataille, je me faisais mille reproches : « c’est bête ce que tu fais, l’année prochaine faudra gérer mieux que ça. T’étais pas obligé de tout manger tout de suite. T’es donc ben sarfe! T’aurais pu t’en garder pour demain, mettre le reste dans ton tiroir… »  Soudain, le flash : MES CHOCOLATS! Comment avais-je pu oublier? Ces petits chocolats si longtemps désirés. Si rapidement oubliés…

   Alors dans un ultime effort, émergeant de mon état comateux, je m’étais levé de mon lit, pour réaliser le geste tant de fois imaginé d’ouvrir ce sac et assouvir mon fantasme. Je croyais mettre des heures à laisser fondre une par une ces petites choses sur ma langue, mais finalement je les avais englouties d’un coup, sans réelle conviction. Juste par principe. Et la déception fut grande. La promesse n’avait pas été tenue; on avait convenu qu’ils me procureraient une ivresse sans fin, que ce serait le plus beau jour de ma vie, et au lieu de ça, je me retrouvais à mâchouiller des choses fades, durcies, presque amères. 

  De retour dans mon lit, j’avais le sentiment du devoir accompli certes, mais aussi le cœur lourd, rempli d’une soudaine tristesse : j’avais été trompé et maintenant je n’aurais plus rien à désirer. 

   Pas possible de m’endormir là-dessus. Je m’étais encore levé, mais cette fois pour me rendre au lit de ma mère : « Maman, j’ai mal au cœur! »

 
***

dimanche 13 avril 2014


                    ADIEU CHAPS!
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
J’ai perdu mon compagnon.
Mon compagnon de contemplation, de méditation, de farniente.
Assis l’un à côté de l’autre, nous étions voisins de voyage dans la rêverie.

Dans le silence de nos conversations, j’apprenais l’humilité, le respect, l’intégration harmonieuse avec l’environnement. En observant les mouvements saccadés des narines de son museau, je le savais dans une pensée profonde et je me taisais, m’interdisant toutes interventions qui forcément auraient fait de moi un abruti, et l’auraient sûrement déçu. En ces moments-là, je m’efforçais à lui épargner mes opinions, mes arguments, mes états d’âme, tous ces bruits inutiles.


Tu me manqueras mon compagnon. 

Moi, je sais que je ne te manque déjà plus, et ça me réconforte un peu; l’absence est pour ceux qui restent.
Si nos âmes existent dans l’au-delà, alors je te reconnaîtrai, et nous renouerons nos connivences.

 
Salut mon vieux Chaps! 
Mon cher compagnon.

***

dimanche 6 avril 2014


Jouer


 


   Laissez donc les enfants tranquilles! Arrêtez de leur mettre des jouets dans les mains. Des jouets bêtes avec ça. Des scénarios déjà tout conçus. Ou bien des jouets intellectuels ne faisant plaisir qu’aux parents. Pire encore, des jouets « désexualisés », « non traditionnels », genre des camions aux petites filles, des fours à cuisiner pour les gars... Que pensez-vous ils vont faire avec ça? J’ai eu un copain qui a reçu ça comme cadeau de Noël;  on a mangé tous les mélanges à gâteaux à même les sachets dans une seule journée. On ne s’est servi du four que plus tard pour faire brûler des bibittes.   Des camions! Vont faire quoi, les filles avec ça? Les laver? Les décorer? Elles ne savent même pas faire vroum vroum....   Nous, c’est pas long qu’on te les salit, on te les bardasse, on fait des accidents, on les démolit. Bref, on joue avec, PARCE QUE CE SONT DES JOUETS DE GARS. Une fille, ça reste une fille. Les jouets n’y changeront rien, et c’est très bien comme ça. On en veut des filles... mais plus tard. Pas pour l’instant.

   Laissez-nous jouer comme on l’entend. Laissez-nous seuls un peu. Laissez-nous avec rien : un bout de bois, du carton, de la ficelle. Taisez-vous, tassez-vous, laissez-nous, on est en train de créer. Occupez-vous de vous! Vous en avez grand besoin.


    Les jouets « transsexués » ne changeront jamais les comportements, c’est dans la génétique. Jouer à la guerre avec des filles c’est infiniment pas la même chose.    C’est plate!   Déjà, elles pensent plus à l’infirmerie qu’au quartier général. Dans les bunkers, c’est tout de suite les mamours plutôt que la stratégie militaire. Tous les enfants savent ça. Il n’y a que les parents qui ne comprennent pas, à qui faut tout expliquer...
 

   Mais on n’a pas le temps, ça tire de partout. Déjà François est dans l’arbre, il va s’emparer du drapeau. La bande à Louis se faufile à travers les poubelles, je reçois des pois derrière la tête, une balloune d’eau vient d’éclater tout près...

   — Charles, viens souper!

   Pas le temps. C’est la guerre. Qu’est-ce qui m’a foutu cette sentinelle endormie? La petite Laporte, qui s’est mise dans la tête de m’aimer, qui ne sait pas tenir un fusil, qui ne sait pas se battre... Sarah, ouais, Sert à rien!

   — Charles, ta soupe va refroidir! J’te le dirai plus.

   Combien de fois, déjà? Trois fois. C’est bon, d’habitude c’est à cinq qu’elle se fâche, il me reste encore un coup. J’ai peut-être le temps de rattraper François, le faire tomber. Pour ça, il faut lui lancer ma bombe d’eau, mais j’peux pas, ma sœur est tout près. Qu’est-ce qu’elle fait là sur un champ de bataille? Elle va être éclaboussée, elle va crier et ça va finir en hécatombe, déjà que maman est rendue à trois. Trop dangereux. Faut que je le prenne par-derrière, mais comment éviter la bande à Louis?   Comment me protéger?   Et je ne peux quand même pas abandonner Sarah à ces sauvages...

                                               Ah, oui, je peux.

   — Charles, ça fait cinq fois que maman te’l dit, attends un peu...   

   Comment ça cinq fois? Oh, non!!! Dans toute cette fureur, je n’ai pas bien compté. Ça s’est mal terminé, un vrai carnage.


   Heureusement que des larmes, ça réchauffe un peu la soupe.                                        

 

***