Le clou
Du temps où j’étais tout luisant
J’avais un avenir séduisant
J’travaillais fort pour devenir
Plus tard un grand clou à finir
Je rêvais de passer ma vie
Bien planté dans du bois vernis
Au coin d’un endroit stratégique
Avec des amis sympathiques
Puis un jour, sentiment nouveau,
J’ai rencontré près du niveau
Une vis vicieuse et bien tournée
Dans sa boîte elle m’a emmenée
Alors j’suis devenu amoureux
Avant de dev’nir malheureux
Elle m’a cloué le cœur, l’ingrate
Pour un d’ces clous à grosse tête plate
J’ai presque croché sur le coup
Car j’aimais bien l’aimer beaucoup
Elle donnait un lustre à mon fer
Quand elle me faisait des affaires
Savoir avec qui elle se vautre
L’entendre dire un clou chasse l’autre
M’a fait, et sans que j’exagère,
Rouler en bas de l’étagère
Lors, un menuisier maladroit
Sachant rien faire de ses dix doigts
Puis sans dessein par dessus tout
Eut l’envie de cogner des clous
Son œil débile, sans appel
Cherchait partout et je me rappelle
Son sourire bête quand il me vit
Traînant par là sur l’établi
Bout de bois en main, v’là qui s’entête
S’cognant s’es doigts, m’cogant sa tête
À toute force je fendis la planche
Il me crochit pour sa revanche
La rage au cœur, le feu au cul
Comme s’il avait été cocu
Nous jeta dehors sa planche et moi
Et courut se panser les doigts
On est resté depuis ce temps
Des prisonniers indifférents
Elle me retient, moi je la cloue
Sans se vouloir sans être jaloux
Je suis un vieux clou tout rouillé
Seul sur une planche mouillée
Qui sert à rien et pire que tout
Qui ne vaut même plus un clou !
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Copyright © 1977 S. Timmons