Comment faire
pour être beau et intelligent? Riche, je saurais. Savant, aussi. Mais c’est
beau que je veux être. Et intelligent, si possible. Comment faire? C’est si
important, la vie serait tellement plus facile.
J’ai souvent
tenté d’être un héros. Ça tourne mal la plupart du temps. Comme la fois où on
jouait aux cowboys et aux indiens, j’avais pris le beau rôle – il faut bien sublimer
de temps en temps –, j’avais décidé de protéger ma sœur et sa copine contre le
petit voisin apache qui voulait… qui voulait… les violer (?). Mais à cinq ans,
on ne sait pas encore que c’est ça. Muni d’une fronde, je montais la garde devant
la petite tente où elles s’étaient réfugiées. On jouait, mais c’était grave
tout de même, je n’aimais pas les entendre rire et les savoir insouciantes
d’une attaque imminente… qui tardait. Alors en attendant, pour leur faire
sentir le danger réel, je décochai subrepticement un pois, qui, j’espérais,
leur passerait devant les yeux et les ferait trembler de peur et m’appeler au secours. Mais ça n’a pas bien été, j’éborgnai
la petite copine. Elle s’est mise à pleurer et crier au secours pendant que je détalais.
Je fuguai,
une deuxième fois. Et je ne me souviens pas être revenu. Je me rappelle seulement
que ma vie venait de se terminer là. En un instant, l’irréparable : le sol
s’est ouvert devant moi et je suis tombé. Je n’en finissais plus de tomber.
Les tempes chaudes, je marchais droit devant
comme un zombie, soupçonnant les gens que je croisais de savoir, de n’attendre que
le bon moment pour me pendre, là, dans la rue. J’inventais des histoires
impossibles, cherchais quelqu’un à qui mettre la faute, cherchais à reculer le
temps. Par où? Comment? Comment effacer? Revenir? Il fallait mourir à présent. Dans ma fuite je me disais : RÉVEILLE-TOI! RÉVEILLE-TOI! J’implorais mon
Dieu! Mon Dieu! (Tiens, t’es croyant
maintenant! — Mais oui, à l’époque, j’ai bien le droit…) Peu importe, j’en
appelais : Mon Dieu! Mon Diable! Mon Ange! Ma Fée! Mon Farfadet! Mon n’Importe
Qui! Les désespérés ont l’esprit très ouvert.
Je cherchais par quelle magie noire je
pourrais revenir dans le temps et changer de rôle. Pourquoi n’ai-je pas choisi
le sauvage, comme d’habitude? Il me semblait bien aussi que celui du bon ne fût
pas fait pour moi. J’allais et j’avais l’impression que tout ce que je
voyais : le parc, la grande maison jaune des Fafard, la côte de l’aqueduc
où on glissait l’hiver tout près du chêne centenaire qui me faisait signe de grimper
– pas aujourd’hui, vieille branche, je
suis en fuite – les fleurs, le ciel, l’air, le vent, tout ça, étaient maintenant
chose du passé. Du temps de mon innocence.
J’allais
droit devant comme un somnambule traversant les rues le plus possible sans
regarder, j’espérais la fin du monde, là, à cet instant même. C’est le temps!
Qu’ils nous l’envoient leur bombe atomique! Que tout arrive, c’est le bon
moment : une guerre mondiale, un cataclysme, une tornade, une avalanche,
un tsunami, un volcan, n’importe quoi pour détourner l’attention, pour ne pas
me laisser SEUL contre le monde entier.
Les tempes
chaudes, je marchais droit devant comme un zombie dégoulinant de tristesse. J’imaginais
cette enfant défigurée à jamais, cette fillette dont je ne sais même pas qui
c’est – qu’est-ce qu’elle faisait là? – cette
petite fille qu’on n’a d’ailleurs jamais revue par la suite.
Peut-être par ma faute.
Peut-être
l’a-t-on placée dans un cirque.
Comment
expliquer mon geste? Ils ne comprendront jamais. Je voulais être fin, leur
dire : « ne craignez pas les filles, oui, il y a un danger, mais je
suis là ». Je voulais me faire aimer, c’est tout. Je voulais me sentir
important, leur sauver un peu la vie.
Que font-ils
maintenant? La police, mon père, ma mère, tout le monde doivent me chercher. Puis,
tout à coup, comme un rayon de soleil puissant perçant au travers de gros nuages
noirs, je me suis mis à penser que peut-être personne ne savait. Qui pourrait
affirmer hors de tout doute raisonnable que c’est moi, le bon cowboy, et non le
sauvage de François qui a tiré? Y avait-il des témoins?
Et c’est probablement
sur cette présomption que j’ai dû reprendre le cours de ma vie… Sinon, je ne sais pas. Il est bien possible que
je ne sois jamais revenu et qu’il y ait aujourd’hui une femme borgne quelque
part qui ne sait pas de qui elle tient ça.
Et
un enfant toujours en fugue.
***