Il n’y a
d’autorité que si elle est acceptée. L’autorité par la force ce n’est pas de
l’autorité, c’est de la force. Un enfant qui refuse l’autorité, on ne peut que le
battre, comme une bête sauvage qu’on essaie de contenir. Sans
communication, sans rapport de confiance, il n’y a que la peur, que la lutte,
que la fuite. L’autorité, sans caution morale, ne peut tenir longtemps comme ça
à bout de bras.
Je pense à un
de mes petits voisins. Mal habillé, puant, sale, galeux. Lacroix, qu’il s’appelait. Voisin d’en arrière, une autre rue, autant
dire un étranger. Sans foi, ni loi. Un voyou lui, un vrai. Il n’avait pas
besoin d’être aimé celui-là; il était libre. Personne n’en venait à bout :
ni son père, ni sa mère, ni l’école, ni l’église. Six ans, et déjà tout d’un
pendu.
Fort? Je ne
sais pas. Je ne me suis jamais battu
avec. Je lui criais des noms et je me sauvais. Je n’ai jamais aimé me tirailler,
je n’aime pas sentir de la peau sur ma peau. Surtout quand je me retrouve
dessous. Même pour jouer j’aime pas ça. Il y a juste mon petit frère que je peux
battre à mon goût. Mais j’arrête avant qu’il pleure. Chut! Tais-toi. S’il ne se tait pas, je n’ai plus le choix, je dois
l’étouffer. Sauf que je n’ai pas eu besoin de le tuer jusqu’à présent. Je me
mets plutôt à le distraire, lui inventer une histoire, lui lancer des bonbons, va chercher! Et la plupart du temps ça
marche.
Puis, je
reviens à de meilleurs sentiments.
Mais Lacroix,
ce n’était pas pareil. Lacroix, c’était, en soi, une activité au programme. On se réunissait quelques-uns et on le
traquait. C’était du safari. Il ne fallait pas s’aventurer trop près, attention!
Il fallait rester de ce côté-ci de la barrière.
Qu’est-ce
qu’il nous avait fait? Rien. Il était différent de nous, c’est bien assez. Il
puait, aussi. Il était méchant. Tout le monde le disait, alors ça devait être
vrai. La clôture n’était pas là pour rien!
Dès qu’on
était en nombre, on était ennemi – en groupe il y a une dynamique qui tranche
bien nettes les positions, mais autrement, seul à seul, on était plutôt copains.
Chacun de son côté de la clôture, on se parlait, on se passait des jouets, on
riait. Je le trouvais même assez drôle et généreux, toujours
prêt à partager la mangeaille. Le contraire de François, mon meilleur ami parce
que mon voisin immédiat. Il faisait exprès, lui. Quand il y pensait, il rentrait
chez lui se prendre une collation et venait me manger ça sous le nez. Refusant
net tout partage. C’était pour lui une façon de se rendre intéressant, de se
sentir exister à travers l’envie des autres.
Lacroix, lui,
n’avait pas à être envié pour être. Il existait par la chasse qu’il provoquait.
Quand je dis la chasse, il faut s’entendre, c’était plutôt la raillerie; on se
mettait à plusieurs et on l’écœurait à travers le grillage (solide) de la
clôture. Comme un animal en cage on le faisait circuler de gauche à droite et
de droite à gauche, selon d’où fusait l’insulte. Chacun y allait de son cru.
Je me souviens de m’être trouvé très intelligent un
jour en lui criant des noms. J’avais découvert, tout seul, cette phrase
assassine : Lacroix! La croix du diable!
Wow, c’est moi qui ai dit ça?
Wow! Je crois l’avoir répété plusieurs fois.
Subtil, n’est-ce pas?
La croix, c’est de Dieu qu’on parle d’habitude, mais
lui, il s’appelait Lacroix et il était méchant comme un diable. Alors, l’effet
des deux me semblait une trouvaille.
Je me souviens de m’être trouvé très intelligent.
Même la nuit, je me la repassais celle-là.
Hi hi hi.
***