dimanche 6 décembre 2009

La différence (et la critique)



Bon Dieu, qu’on est en quête d’amour ! On cherche toujours l’attention des autres : dans notre habillement, dans nos acquisitions, nos comportements, nos petites réalisations. On n’en sort pratiquement jamais du « papa, maman, regardez-moi! ». Des tournesols. Je ne crois pas qu’il y ait un seul être humain sur terre, de la pire brute au plus suffisant personnage, qui ne soit pas, à un degré quelconque, en quête d’appréciation. Des tournesols, vous dis-je. Où le soleil ? Où le soleil ? Regarde-moi, Soleil. Regarde-moi !

Chaque fois qu’on produit quelque chose c’est comme mettre un enfant au monde; on l’aime toujours plus que les autres. On supporte mal la critique. Pourtant ? Qu’est-ce que ça peut bien faire ? Il suffit qu’il soit le bien-aimé de quelques-uns et ça nous fait un tournesol de plus sur la planète.

Et puis, la critique, comme la pluie, ce n’est pas mauvais pour les tournesols. Même que ça en prend. Ça permet de grandir. Ça corrige ou renforcit. Mais surtout ce n’est qu’une opinion, un commentaire personnel de quelqu’un selon sa propre vision des choses, ça ne vaut jamais plus que son contraire. À moins qu’elle soit unanime, la critique n’informe que sur l’appréciation de celui qui la fait. Et en cette matière il ne faut à peu près jamais se tromper, ou changer d’idée, sinon la mire est fausse, et on ne saura plus jamais trop bien où l’on tire. L’évolution de l’art nait rarement sous les applaudissements des critiques. Le sentiment populaire arrive au berceau bien avant. La Critique est au mieux un art parasitaire figé dans le convenu.

Mais sans parler du grand Art, toute création est toujours, et déjà, tout à fait appréciable. Si elle convient à son créateur, c’est bien suffisant. Essayez seulement de me persuader que ma recette de sauce à spaghetti, dont je me délecte, est infecte. I-M-P-O-S-S-I-B-L-E. Vous ne l’aimez pas ? Bien. Je ne vous en ferai plus, c’est tout. Mais comment parviendrez-vous à me faire haïr ce que j’aime ? Que vous alliez crier sur les toits que je me fais une sauce abjecte et que je suis absolument moron de l’aimer, n’aura pas plus d’effet. Bon, je vais comprendre que vous êtes de mauvaise humeur à mon endroit, mais à part ça, c’est une opinion. Ça ne vaut rien. Si c’est bien dit, tant mieux, ce sera au moins agréable à entendre.

À moins d’une rare maladie mentale, je ne crois personne insensible à la hargne de quelqu’un. Savoir qu’à l’autre bout de la planète, un chinois, dont je ne peux même pas deviner l’existence, m’haïsse, ne me procure aucun plaisir. Pour être franc, j’en ai même une douleur. Mais bon, que voulez-vous, je m’inquiète aussi d’un milliard de personnes qui meurent de faim sur la planète. Les douleurs se fondent ainsi l’une dans l’autre.

À une mauvaise critique d’un lecteur enragé il faut toujours, au moins, apprécier qu’il vous lise. Et je ne pourrais pas riposter sans d’abord le remercier pour ça. Ces gens-là ont quand même pris le temps de vous écrire pour vous mépriser. Vous ne leur êtes donc pas indifférent. Mais je reviens avec ma question : comment pourront-ils m’empêcher d’apprécier ma recette de sauce à spaghetti, même après en avoir dit tant de mal ? Comment peuvent-ils croire, que je pourrai préférer leur sauce, avec laquelle je risquerais de m’étouffer ? Et puis, qu’est-ce que je fais de tous les autres à ma table, venus pour apprécier ma sauce ? C’est difficile de mépriser une seule personne à la fois.

On ne pense pas comme vous. Et puis ? Peut-il y avoir autres reflets dans le miroir que vous-même? Imaginez que toute l’humanité actuelle soit clonée à votre image : avez-vous idée de ce que le monde serait plate ? La blague qu’on vous fait, c’est celle que vous avez faite hier. La chanson que vous entendez à la radio, c’est la vôtre, toujours la vôtre, mal faite et mal chantée. Dans le journal, il n’y a que votre opinion. Tout le monde a choisi votre NIP. Tout le monde aime votre femme. Tout le monde aime votre sauce à spaghetti, mais aussi les mêmes charcuteries; les prix augmentent sans cesse, et le comptoir est toujours vide quand vient votre tour.

On ne se supporterait pas longtemps. Un million de Robinson Crusoë sur une toute petite île, c’est un pire cauchemar, je crois. Jamais avec d’autres, et plus jamais seul. Seul. Voilà le grand bonheur. Seul : comme unique, comme différent. Savoir que les autres sont un peu, beaucoup, assurément différents, voilà l’intérêt. Il faut que d’autres décorent leur maison différemment, s’habillent différemment, fassent une sauce différente, aient des idées différentes.

Et quand on n’apprécie pas leur différence, tant mieux, on ne s’apprécie que davantage.

La différence, ça fait toute la différence.

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