dimanche 1 novembre 2015


 

La mort
 
 

    La journée est à peine commencée que j’ai déjà trois morts sur la conscience : une araignée et deux maringouins. 

    Ne riez pas, ce n’est pas drôle. La mort, ça rend triste. Ces bestioles que j’ai tuées vont manquer à quelqu’un des leurs : un enfant, un parent, un ami. Ils vont être là à l’attendre, à l’attendre, à l’attendre, mais elles ne reviendront jamais. Toutes les autres, les millions d’autres ne sont pas celles-là. Il y a sûrement un code entre elles qui les identifient, et un seul chiffre différent sur un million fait toute la différence. 

Sans moi, elles seraient encore vivantes. J’ai mis fin à leur existence pour toujours. Je trouve que c’est assez important et qu’il n’y a pas de quoi être fier.

    La mort c’est fatal, on le sait maintenant. Monsieur Morin est mort cet hiver. On a parlé d’une crise de cœur. C’est énervant ça. Le cœur bat – on ne comprend pas comment d’ailleurs, il est où le moteur? – et on vit, on rit, on s’amuse, on pleure, on se prend au sérieux, on se croit important, puis il pique une crise, il s’arrête, c’est fini. On n’est pas consulté, c’est lui qui décide.   

    Monsieur Morin, on l’aimait. Tout le monde l’aimait. Toujours gentil, toujours souriant, toujours impressionnant avec sa voix forte et douce. On le savait complice par ses clins d’œil, on pouvait se cacher dans sa cour et plutôt que de nous vendre il brouillait les pistes à nos poursuivants. Parfois même il se mêlait à nos jeux.   Il nous aimait. On sent ces choses-là. 

    Il avait tout du père Noël : la barbe, le rire, le ventre, la bonne humeur, la générosité.   À bien y penser, je ne serais pas surpris que ce soit lui. Faudra surveiller ça, Noël prochain.

Euh… non, on ne pourra pas, il est mort. 

    C’était peut-être seulement son frère au père Noël...

    Qu’est-ce que je dis là? Ça n’existe pas le père Noël.   Voyons donc, je ne suis pas un bébé. Monsieur Morin est mort, c’est ça que je veux dire. Mort pour toujours. Tout le monde était triste. Sans lui la rue est vide, défigurée, un parc sans arbres. 

    Malheur! Pourquoi fallait-il que son cœur pique une crise, aussi? Tout allait bien. Le matin, on lui avait envoyé la main alors qu’il pelletait son entrée. 

    — Encore toute une bordée, hein? lui a lancé mon père.

    — Oui, pis elle est pésante! Ça lâche pas cet hiver. On sait pu où la mettre.

    — Vous devriez pas vous éreinter après ça. Si je devais pas aller travailler à matin, je vous donnerais un coup de main. Charles pourrait peut-être vous aider (de quoi je me mêle, je suis bien trop petit!).

    — Non, non, laisse-le s’amuser, il est trop petit (bon, qu’est-ce que je disais) ça me fait un peu d’exercice.   C’est juste bon pour moé ça, lui a-t-il dit en pointant son ventre, avant de se mettre à rire comme le père Noël. Ho! Ho! Ho!   
(Faudra quand même surveiller ça, Noël prochain... pour en avoir le cœur net.)

Le matin, il nous jasait dans son entrée. Le midi, une ambulance est arrivée devant chez lui. Le soir, un grand malheur immobilisait la vie. Même la neige, qui se sentait probablement un peu responsable, avait cessé de tomber. 

Les gens au lieu de mourir devraient s’en aller, nous dire qu’ils partent en voyage, nous envoyer la main À bientôt! Puis on s’habituerait à leur absence. On les penserait heureux. Sûrement très heureux pour qu’ils ne reviennent jamais. 

     Ce serait pareil, mais ce serait mieux.
 
 
***