dimanche 1 juin 2008



À MA MÉMOIRE


Ô mémoire, paresseuse, infidèle, oublieuse,
De tous tes égarements tu devrais être honteuse.
Tu t’amuses à ton âge, frivole insouciante,
Et toujours tu ne m’es jamais qu’inconstante.
Pourquoi donc n’es-tu jamais là quand je t’appelle ?
En quel désordre traînes-tu tes instructions nouvelles ?
Dis-moi, est-ce trop demander que, de temps en temps,
Me donner la journée et la date en même temps ?
Tu viens, tu pars, tu reviens et puis tu repars,
À ta guise et sans presse pour traîner quelque part.
Tu réponds distraitement à une banale question,
Et sitôt fait, tu retournes à ta digestion.
Tu t’amuses à retenir ce que j’ai appris
Me renvois toujours reprendre ce que tu as pris.
Pour seulement me remettre un prénom ou une date
Il faut que je te supplie ou que je te batte
Commence alors une poursuite intransigeante
Quand je crois te tenir, te voilà changeante.
Et après des heures de ce supplice, épuisé
Je m’en vais me coucher déçu, inquiet, lassé
Rien ne viendra, ni la trouvaille ni le sommeil
Puis voilà soudain qu’en pleine nuit tu me réveilles
Pour me crier le mot que je ne cherche plus
M’apparaissant insignifiant et superflu.
Il est des jours où, oubliant même tes défauts,
Je cherche à m’instruire à peu près comme il faut.
Je me concentre à lire quelques pages d’un livre ;
Et sitôt terminé j’attends que tu me livres
Sinon les détails au moins les grandes idées.
Mais à peine ai-je le titre que te voilà vidée.
Alors tout inquiet craignant la déficience
Je perquisitionne avec rage, impatience.
Te sommant de me remettre, là, sur le champ,
Ou bien le volume ou bien alors mon argent.
Car si du livre tu ne retiens pas la lecture
Tu n’oublies pas de me rappeler la facture.
C’est toujours ainsi : on vit en contrariété.
J’ai toujours l’air idiot moi, en société.
Tous les jours pour ne rien oublier je me dois
D’avoir agenda à la main et ficelle au doigt.
Malgré moi d’un songeur j’offre à voir tous les traits.
Si quelqu’un m’interroge, il me croira distrait.
Les yeux vers le ciel et l’index sur les lèvres,
Ou me grattant la tête rageusement avec fièvre
Il aura pour réponse que des hésitations
Dans une autre langue il reposera la question.
Pourquoi n’ai-je pas une faculté qui oublie moins ?
Pourquoi donc ne puis-je jamais te prendre à témoin ?
J’en vois tant d’autres qui semblent tellement bien pourvus
Consultant leur mémoire comme lisant une revue.
Elle leur est soumise et fait tout avec emphase.
Ils ne désirent qu’un mot, et elle leur donne la phrase.
Je ne serai jamais moi que doctus cum libro
C’est de ta faute, tu ne m’as jamais aidé trop.
Enfin, terminons cette chicane et de bonne foi
Allons se rappeler de bons souvenirs pour une fois.
As-tu gardé ce jour où devant assemblée
Je récitais Boileau, et tout allait d’emblée,
Quand au vingtième vers tu t’es mise à blanchir ?
Il m’a fallu suer alors pour te rafraîchir.
Mais je repris tout de même mon important discours
Sans pour autant obtenir ton précieux concours.
Car subitement, comme ça, sans doute lasse de m’entendre
Tu t’es fermée pour de bon et partis te détendre.
Je restai la bouche ouverte, vide de son, plein d’émoi.
Tu te souviens. Ah, ce qu’on a bien rit… de moi.
As-tu conservé aussi, attends… laisse-moi voir,
Oui, voilà, cette fois-là, oui ce fameux soir,
Où fièrement gonflé d’une connaissance nouvelle
J’enseignais à des amis tout ce que je savais d’elle.
Tu m’aidais à répondre à toutes sortes de questions,
Me soufflant des réponses étoffées de mentions ?
Mais parmi ceux-là il y avait des érudits
Qui sur plusieurs points, à la fin, m’ont contredit.
Tu me disais : « Prends pari, allez prends pari »
Les gageures ont monté en de fabuleux prix.
On commença à parler fort, on s’obstina,
C’est dans un livre que le tout se termina.
Ce que ça m’a coûté cher d’orgueil et d’argent.
Tu me les gardes toujours frais ces souvenirs. Hen !
N’y a-t-il pas eu aussi cette fameuse journée
Où je… Où plutôt quand… Ah ! Te voilà fermée.
Ça ne t’intéresse plus ; tu remballes les souvenirs.
Et sans pomper maintenant rien ne me peut venir.
Je devrais me rappeler ce mauvais coup, toutefois,
Allez-va ! Je veux bien oublier pour une fois.