La tête ne peut rien sur le cœur
(ou plus savamment : Le « JE » suit le « SOI »)
On ne décide pas si on aime ou si on croit quelque
chose ou quelqu’un. C’est hors de notre contrôle, faut juste ne pas être le
dernier à le savoir. Puis quand on le sait, on ne décide même pas si cela peut
changer. Le temps et les événements jouent sans notre opinion et font qu’un
jour on réalise qu’on n’aime plus ce qu’on aimait, qu’on ne croit plus ce à
quoi on croyait. Ou l’inverse.
Vouloir aimer ce n’est pas aimer. Vouloir croire ce n’est
pas croire. Même vouloir vouloir ce n’est pas vouloir. On s’illusionne beaucoup.
On se fait une image de soi la plus idéale possible; comme la femme qui
s’obstine à rentrer dans son tailleur et en force les coutures. Ça ne convient
plus. Il faut se faire à l’idée. Je veux bien croire au père Noël, mais ça ne
marche pas, je sens toujours le besoin d’acheter moi-même les cadeaux. J’aime
l’idée d’arrêter de fumer; je voudrais vouloir arrêter de fumer. Pourquoi? Parce
que c’est une volonté cosmétique : je me plais à vouloir vouloir arrêter
de fumer, mais j’accepte toujours intérieurement de fumer. Bref, je n’ai pas la « volonté » d’arrêter de fumer... malgré ma bonne
volonté.
En fait, il y a comme une dualité. Au lieu de
« je » on devrait dire « on » : le JE et le SOI. Le JE
suit le SOI. C’est le SOI qui mène; le JE suit ou dénie. La volonté (ou
non-volonté), l’amour (ou non-amour), la croyance (ou non-croyance) sont déjà
bien établis en soi. Le JE exprime simplement l’idée souhaitée ou la vraie
prise de conscience du SOI. Le SOI est la résultante de tout ce que nous
sommes, et ce n’est pas très variable.
Je dois constater ce qui est MOI. Il n’y a pas de
« j’aimerais être une fille, j’ai la volonté d’être une fille, je crois
être une fille… » Non, je suis un
gars. POINT. À moi d’adapter mon discours. Je suis un gars, et pas n’importe
lequel, un gars de mon époque, de race blanche, intellectuel, non sportif,
fumeur, paresseux, moyennement intelligent, sensible, etc. C’est ça le SOI qui
est le mien et que je dois exprimer. Il n’y a pas d’autres choix. Tout le reste,
c’est le combat de notre vie : le « je » contre le
« soi ». Pour le gars ça va
bien, mais pour fumeur, paresseux, moins bien. Tout le reste n’est qu’un jeu de
rôle : le rockeur sentimental, l’épais jouant les aristos, les abrutis les
philosophes, l’artiste le grand artiste, l’homme d’affaires l’homme d’affaires,
enfin, tout ce qu’on croit être. Qu’on aime surtout croire être.
Bien sûr, le JE peut influencer le SOI en le mettant
constamment dans un autre environnement, sous l’effet d’autres influences, mais
ça ne marchera toujours qu’à moitié, même si on s’en fait une totale illusion. Si
le SOI change réellement au cours de notre vie, ce sera, je crois, vraiment
exceptionnel et très lié au hasard. Certes qu’il faut jouer le jeu; c’est même
souhaitable en société. Il y en a pour qui la bonne humeur ou l’honnêteté est
naturelle, pour d’autres une application quotidienne. Continuons le jeu.
La tête ne peut rien sur le cœur. Et le cœur ne peut rien
sur le sexe.
« La bandaison papa, ça ne se commande
pas » G.B.
S’il y a un domaine où on ne peut tricher, c’est bien
celui-là. Et c’est bien le tourment d’un tas de gens. Regardez sur quoi vous
bandez, et c’est ce que vous êtes. Essayez de bander sur autre chose
maintenant, son contraire, par exemple, ça va bander mou, je vous le dis. C.Q.F.D.
Je reprends donc mon idée : on ne décide pas si
on aime ou croit quelque chose ou quelqu’un. Souvent à notre grande surprise et
grand regret. On peut l’admettre ou non, avoir la meilleure volonté de modifier
les choses, mais ce ne sera qu’illusion. Nous pouvons peut-être adapter notre
opinion à ce que nous sommes vraiment, si ça diffère, mais l’inverse ne sera
que comédie. Les gens sincères, je crois, ne cherchent pas à être ou faire ce
qu’ils disent, mais plutôt à dire ce qu’ils sont et font. Les gens sincères et
cohérents adaptent leur discours à ce qu’ils sont.
Alors
mon petit poème commencera ainsi :
Mon amour, ma tête ne veut pas t’aimer
C’est mon cœur qui bat pour toi
Je crois que je t’aimerai toujours
C’est mon cœur qui en décidera
Je veux vouloir t’aimer et crois le
croire
Enfin, je crois pouvoir dire qu’ON
t’aime
Quel hasard extraordinaire
Quand même!
Bon,
il reste à arranger les rimes, mais quand même, c’est à peu près ça.
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