dimanche 21 février 2016



La tête ne peut rien sur le cœur

(ou plus savamment : Le « JE » suit le « SOI »)

 

On ne décide pas si on aime ou si on croit quelque chose ou quelqu’un. C’est hors de notre contrôle, faut juste ne pas être le dernier à le savoir. Puis quand on le sait, on ne décide même pas si cela peut changer. Le temps et les événements jouent sans notre opinion et font qu’un jour on réalise qu’on n’aime plus ce qu’on aimait, qu’on ne croit plus ce à quoi on croyait. Ou l’inverse.


Vouloir aimer ce n’est pas aimer. Vouloir croire ce n’est pas croire. Même vouloir vouloir ce n’est pas vouloir. On s’illusionne beaucoup. On se fait une image de soi la plus idéale possible; comme la femme qui s’obstine à rentrer dans son tailleur et en force les coutures. Ça ne convient plus. Il faut se faire à l’idée. Je veux bien croire au père Noël, mais ça ne marche pas, je sens toujours le besoin d’acheter moi-même les cadeaux. J’aime l’idée d’arrêter de fumer; je voudrais vouloir arrêter de fumer. Pourquoi? Parce que c’est une volonté cosmétique : je me plais à vouloir vouloir arrêter de fumer, mais j’accepte toujours intérieurement de fumer. Bref, je n’ai pas la « volonté » d’arrêter de fumer... malgré ma bonne volonté.

En fait, il y a comme une dualité. Au lieu de « je » on devrait dire « on » : le JE et le SOI. Le JE suit le SOI. C’est le SOI qui mène; le JE suit ou dénie. La volonté (ou non-volonté), l’amour (ou non-amour), la croyance (ou non-croyance) sont déjà bien établis en soi. Le JE exprime simplement l’idée souhaitée ou la vraie prise de conscience du SOI. Le SOI est la résultante de tout ce que nous sommes, et ce n’est pas très variable.


Je dois constater ce qui est MOI. Il n’y a pas de « j’aimerais être une fille, j’ai la volonté d’être une fille, je crois être une fille… »  Non, je suis un gars. POINT. À moi d’adapter mon discours. Je suis un gars, et pas n’importe lequel, un gars de mon époque, de race blanche, intellectuel, non sportif, fumeur, paresseux, moyennement intelligent, sensible, etc. C’est ça le SOI qui est le mien et que je dois exprimer. Il n’y a pas d’autres choix. Tout le reste, c’est le combat de notre vie : le « je » contre le « soi ». Pour le gars ça va bien, mais pour fumeur, paresseux, moins bien. Tout le reste n’est qu’un jeu de rôle : le rockeur sentimental, l’épais jouant les aristos, les abrutis les philosophes, l’artiste le grand artiste, l’homme d’affaires l’homme d’affaires, enfin, tout ce qu’on croit être. Qu’on aime surtout croire être.
 

Bien sûr, le JE peut influencer le SOI en le mettant constamment dans un autre environnement, sous l’effet d’autres influences, mais ça ne marchera toujours qu’à moitié, même si on s’en fait une totale illusion. Si le SOI change réellement au cours de notre vie, ce sera, je crois, vraiment exceptionnel et très lié au hasard. Certes qu’il faut jouer le jeu; c’est même souhaitable en société. Il y en a pour qui la bonne humeur ou l’honnêteté est naturelle, pour d’autres une application quotidienne. Continuons le jeu. 

La tête ne peut rien sur le cœur. Et le cœur ne peut rien sur le sexe.

 « La bandaison papa, ça ne se commande pas » G.B.


S’il y a un domaine où on ne peut tricher, c’est bien celui-là. Et c’est bien le tourment d’un tas de gens. Regardez sur quoi vous bandez, et c’est ce que vous êtes. Essayez de bander sur autre chose maintenant, son contraire, par exemple, ça va bander mou, je vous le dis. C.Q.F.D.


Je reprends donc mon idée : on ne décide pas si on aime ou croit quelque chose ou quelqu’un. Souvent à notre grande surprise et grand regret. On peut l’admettre ou non, avoir la meilleure volonté de modifier les choses, mais ce ne sera qu’illusion. Nous pouvons peut-être adapter notre opinion à ce que nous sommes vraiment, si ça diffère, mais l’inverse ne sera que comédie. Les gens sincères, je crois, ne cherchent pas à être ou faire ce qu’ils disent, mais plutôt à dire ce qu’ils sont et font. Les gens sincères et cohérents adaptent leur discours à ce qu’ils sont.  



Alors mon petit poème commencera ainsi :


Mon amour, ma tête ne veut pas t’aimer
C’est mon cœur qui bat pour toi
Je crois que je t’aimerai toujours
C’est mon cœur qui en décidera
Je veux vouloir t’aimer et crois le croire
Enfin, je crois pouvoir dire qu’ON t’aime
Quel hasard extraordinaire
Quand même!

 

Bon, il reste à arranger les rimes, mais quand même, c’est à peu près ça.

 

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dimanche 14 février 2016


 « Parlez-moi d’amour et je vous fous mon poing sur la gueule !  Sauf le respect que je vous dois. »  G. Brassens




Dans la série des CHRONIQUES DU PLOMB SAUTÉ

 
 
 
 
 
Ne me parlez pas d’amour  

 

Surtout pas avec vos grands yeux pénétrés de vénération. En cette matière aussi, je pratique une forme d’athéisme. Cette sacro-sainte aspiration ne me paraît qu’une pulsion sexuelle bien involontaire et pratiquement incontrôlable. Vous ne voulez pas aimer, vous aimez pareil; vous voulez bien aimer, vous haïssez quand même... de façon refoulée.

De plus, et c’est bien ça qui me tarabuste, c’est une quête purement égocentrique, narcissique, égoïste, travestie, bien sûr, comme une pute en bonne sœur. Bref, pour moi, c’est caca, pas loin du délire, de l’obsession, du désordre mental, émotionnel, dangereux. Surtout pour l’autre. Au bout de l’amour, c’est la haine. C’est la même charge fanatique. Ça supporte mal la contrariété. Tenez-vous à distance de ceux qui en cultivent à l’excès.  Fuyez-les comme certains assassins.  

« Mais si je t’aime, prends garde à toi » Carmen, de Bizet.

Pouvez-vous imaginer aimer quelqu’un et le laisser sortir de votre vie.  Non, on l’aimmmme. On veut le garder au cœur de sa vie. On s’y accroche, on s’y attache, on le tient serré. « T’es mon amour », ça veut dire t’es à moi. Dans cette phrase « Je t’aime », je ne vois pas le beau sentiment. C’est le « Je » qui trahit tout de l’altruisme. C’est le « t’» qui me fait peur; comme dans « tue » : Tu m’aimes-tue? Le grand Amour est à deux doigts de la haine.  

Ne me parlez pas d’amour.

Mais parlez-moi de beauté, de poésie, de tolérance, de chaleur humaine, d’affection, tous ces beaux sentiments où votre « je » n’arrive pas en premier. Le bel élan altruiste je le vois plus dans la recherche de l’harmonie, la paix, l’ouverture à l’autre. Voilà ce que je conviendrais de célébrer davantage.

Mais l’amour, l’amour, l’Amour, bon Dieu! ce n’est rien d’autre qu’une envie de se mettre… important aux yeux de l’autre. Vos grands débordements me troublent.  Un esprit comme le mien y voit tout de suite une érection gênante, intempestive, qui réclame davantage un élan du poignet qu’un élan du cœur. J’en ai-tu aimé moi des filles sur papier glacé, que d’intensité dans mon amour, que d’ardeur dans mes élans.  Je n’avais d’yeux que pour elles, mon plus grand intérêt, ma promise, mon… ma… ahhhh!  Et puis, je redevenais soudain paisible et laissais enfin libre l’objet de mon amour. Je dis que l’Amour qu’on ressent pour l’autre c’est la même branlette de son amour-propre.

Ne me parlez pas d’amour. Mais vous pouvez me parler d’amitié par contre.  Beaucoup d’amitié.

 

Bonne St-Valentin, quand même!
Aux amoureux égoïstes qui s’aiment si tendrement.

 

 

 




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