dimanche 13 décembre 2015


 

Vive le vent d'hiver
 

 

    On avait l’air de trois petits bonshommes de neige qui débarquent dans la maison. Une tempête de neige! On ne pouvait pas manquer ça.


    — Marchez pas avec vos bottes en d’dans! Allez-vous s’couer dehors, nous a crié maman en passant d’un pas rapide, une pile d’assiettes dans les mains.

    — Là, vous trois, vous allez monter dans vos chambres faire un p’tit dodo, parce que ce soir vous vous couchez tard, nous a dit grand-maman pendant qu’elle déneigeait mon petit frère.


    Même qu’on ne se couchera peut-être pas du tout, la messe est à minuit. On avait déplacé les meubles, aligné des chaises, allongé la table, installé des guirlandes en papier rouge et vert au plafond, il y avait une dinde au four, mon père s’affairait à retrancher les croûtes du pain... Vraiment, on ne se couchera pas de sitôt.

    À la radio jouaient des airs de Noël entrecoupés de bulletins météo.

Une tempête de neige fait présentement rage sur l’ensemble du Québec. Au moins dix pouces de neige sont tombés jusqu’à présent. De plus, à certains endroits, d’importantes accumulations se sont formées par les violentes rafales notamment sur la région de la Mauricie rendant plusieurs routes impraticables. La police provinciale avise la population de redoubler de prudence et d’éviter d’emprunter les routes secondaires.

Nous reprenons le cours de notre émission LES BEAUX CHANTS DE NOËL, et vous reviendrons avec un bulletin plus détaillé dans la prochaine heure. Merci de demeurer à l’écoute... « Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver qui s’en va soufflant, sifflant dans les grands sapins verts… » entonnait le chœur des Petits Chanteurs de l’Estrie.


    — Eh, que ça tombe mal! Germaine viendra pas, c’est sûr. Ils partiront pas de Québec dans une tempête comme ça. Appelle donc, voir! demandait ma mère à mon père.

    — Julien, non plus, je croirais ben, a rajouté grand-maman, le connaissant, il est assez peureux. Et pis Montréal, c’est pas à la porte, non plus.

    — Ouais, ben! On va slaquer su lé sandwichs, a rétorqué mon père, pragmatique.


    Dommage que ce soit si dérangeant, c’est tellement beau, pensais-je, en regardant le blizzard de la fenêtre de ma chambre. On ne distinguait rien à trois maisons de nous, ça aurait pu être l’océan derrière ce nuage opaque décroché d’un ciel trop sombre pour une fin d’après-midi. Par moment, en bourrasque, le vent venait siffler dans les fenêtres mal isolées en faisant des fffwwouiiiiiii  des fffwwwaaa, cognait quelques coups dans la vitre pour nous faire peur, puis repartait tourbillonner sur les bancs de neige. C’était vraiment excitant. Comment m’endormir au milieu de cette mer déchaînée?


    En bas, ça bougeait. Des bruits de vaisselles, de meubles tirés, de téléphone qui résonne à tout bout de champ au travers des chants diffusés à la radio. Comment m’endormir dans toute cette agitation inquiète et malgré tout heureuse?

 
    Je n’avais pas eu à me poser la question une troisième fois, je me réveillais. J’avais déjà dormi presque trois heures. J’ai descendu l’escalier en vitesse, espérant n’avoir rien manqué.

    — Tiens, t’es levé toi! Va t’habiller, ils vont arriver bientôt, m’a tout de suite ordonné ma mère.

   — Mireille, elle? (Un automatisme)

Elle était déjà debout, déjà habillée (en princesse, évidemment) et aidait à mettre la table. Je me suis repris :

    — Paulo, lui?

    Il était dans le salon, habillé lui aussi, en train de manger une collation. Bon, si personne ne coopère, je vais donc aller me changer.

    Le vent maintenant était tombé. Il neigeait encore pas mal, mais on pouvait voir au travers les mailles du rideau. Justement, j’apercevais mon père en train de déneiger une nouvelle fois l’entrée.


    Dans la maison on ne respirait plus sans avaler en même temps une part de tourtière, un fumet de dinde rôtie, quelques vapeurs d’un ragoût de pattes. C’était carrément envahissant, presque du bruit. J’avais du mal à me concentrer sur autre chose. Je devais, par exemple, m’approcher à deux boules du sapin pour enfin saisir, comme un doux murmure à l’oreille, sa discrète et suave émanation.


    Tout le monde endimanché attendait la visite avec cette petite nervosité agréable de vouloir être à son meilleur. Nous, les enfants, on était collés à la fenêtre, scrutant le moindre mouvement qui pouvait ressembler à une auto tournant au coin de la rue. Ils ne devraient plus tarder. À tour de rôle, on se relayait le temps d’aller gober un poisson rouge à la cannelle ou une tuque de chocolat dans les petits plats de verre taillé déposés sur le buffet.


    Il neigeait toujours, mais juste pour la beauté de la chose. Pour faire carte de Noël avec toutes ces guirlandes illuminées des maisons sur la rue. Soudain, une voiture a ralenti devant la maison. Ça y est! La visite. Mon oncle Julien (le peureux?), était le premier arrivé. On y distinguait ma tante Carmen et nos deux cousines, Julie et Francine dans l’auto. Des grandes cousines. Pas bon, ça! C’est les autres qu’on a hâte de voir. Dès qu’on a sonné à la porte, Paulo et moi, on est parti comme des balles nous cacher au fond de la cuisine. On riait, on criait, on faisait les sauvages, pendant que Mireille allait gentiment leur ouvrir la porte.


    À toutes les dix minutes maintenant, ça sonnait. Et à chaque coup, Paulo et moi, on se mettait à hurler comme des loups. On ne sortait pas de la cuisine. Planqué derrière le poêle, j’envoyais Paulo nous ravitailler : apporte-moi des jujubes! Des rouges! Et je restais là à épier les allées et venues de mes oncles et mes tantes dans le passage qui mène à la toilette. Mais, la plupart du temps, c’était maman que je voyais passer les bras chargés de manteaux pour aller les étendre sur nos lits.


    Au bout de quarante-cinq minutes, ma mère, qui avait fini par oublier notre existence, nous a remarqués en venant dans la cuisine préparer le plateau des liqueurs.


    — Qu’est-ce que vous faites là, vous autres? Allez saluer vos oncles et vos tantes, qu’elle nous a dit en remplissant les verres.

    — Matante Juliette est-tu arrivée?

    — Ben oui, ils viennent d’arriver.

    — Jacques est-tu là?

    C’était le seul cousin de mon âge que j’avais envie de voir. Quand ma mère a acquiescé, j’ai fait signe à Paulo qu’on pouvait y aller. C’était le temps… sinon on manquait la liqueur. On est entré dans le salon sous les oh! et les ah! comme ils ont grandi! Exactement ce qu’on redoutait : l’eau froide qui vous mord l’orteil. Mais bon, fallait se saucer à un moment donné. Je m’étais tout de suite dirigé vers Jacques et tous les deux, habillés comme des vendeurs de tapis, on ne savait pas trop quoi se dire :

    — Salut!

    — Salut!

    Maman passait le plateau : du coke, de la liqueur fraise et orangeade. Mon père offrait des bières à mes oncles. Toute la visite assise bien droite sous trop d’éclairage parlait évidemment de la température et des routes impossibles qu’elle avait dû prendre pour se rendre jusqu’ici. Ça faisait beaucoup de monde qui parlait tous en même temps, riait, s’examinait. J’ai amené Jacques dans la cuisine pour qu’on puisse échanger un peu.

 
    — Qu’est-ce que t’as demandé à Noël? dis-je.

    — Un train électrique. Toi?

    — Plusieurs affaires : un camion de pompier, des minibriques, un jeu de hockey, une ferme miniature, une carabine à air, une ceinture de cowboy et… moi aussi, un train électrique. (J’avais le goût d’impressionner). On a jasé longtemps, comme ça, en gens du monde, un verre à la main, mais plus question à présent de grignoter quoi que ce soit. Il était passé neuf heures; il fallait se garder au moins trois heures de jeûne avant de communier.
 

    À onze heures et quart, mon père a dit : « Ben, c’est l’heure d’y aller, si on veut avoir de la place ». Tout le monde a repris son manteau, son chapeau, son foulard, puis, dans les rues à moitié déneigées, le cortège s’est mis en route vers l’église. D’un ciel profond, paisible maintenant que soulagé, on ne recevait plus que des flocons retardataires éclatants de blancheur sous les lampadaires. Le vent à cette heure était à plat, complètement essoufflé, tandis que dans ma tête me revenait constamment cette chanson comme pour le ranimer : « Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver! »
 
 
***


 

dimanche 6 décembre 2015

 
 
                   Les longues heures                       
 
 
Les longues heures, les lentes
Journées collantes,
Et le calme froid
Là, où naît l’effroi
D’attendre toujours
La fin d’un long jour.
 
Le temps se dilate
Et la vie éclate
C’est déjà trop mourir
Et j’ai froid à le dire
Que d’être mort une fois
Sans amour, sans foi.
 
Nos jeunes nuits
Nos tendres
Jeux qu’engendre
Un amour si petit
Pour un si gros appétit
Sont des feuilles sans sève
Qu’un vent froid enlève.


Mon pauvre cœur
Mon triste
Cœur d’artiste
 
Toi qui bats solitaire
Sur cette froide terre
Ton sang n’est plus très chaud
Et mon temps pas si beau.
 
 
***
 
                Copyright © 1978  S. Timmons
 
 
 
 

dimanche 29 novembre 2015

 
 
Seul et inaccessible
 
 

    Qui peut savoir ce que je pense en ce moment? Personne. Je suis seul au monde avec ma pensée. Dieu, me direz-vous? Peut-être, s’il existe, mais ça ne change rien pour vous. Qu’est-ce qu’il vous dit de ce que je pense? S’il existe c’est une affaire entre lui et moi.

    C’est extraordinaire toute la puissance que nous avons dans cette liberté de penser. Je peux me faire un scénario incroyable mettant en vedette cette jolie petite fille devant moi, la faire m’aimer follement, la faire défiler toute nue, la manipuler à ma guise, elle ne s’en doute même pas. Elle ne peut pas se soustraire à ma pensée. Elle est prisonnière de mes rêves, complètement abandonnée à ma volonté. Elle a beau me regarder et ne voir qu’un niais lui sourire, je l’embrasse actuellement et elle ne s’en doute même pas.
    Je pourrais aussi lui faire mal, la découper en petits morceaux, elle ne pourrait rien faire. Tout le monde ici qui nous entoure ne se doute de rien. On ne voit qu’un innocent faire un sourire innocent à une fille qu’il torture. Je suis tout à fait inatteignable.

    Quelle puissance!    Quelle solitude!   Nul ne peut nous assujettir. Impossible. On a beau nous battre, finir par obtenir de nous des aveux contraires à nos sentiments, notre cœur reste souverain, notre esprit inatteignable. Comme un mort : on ne peut plus rien contre lui, ni lui faire peur, ni le faire souffrir, ni le soumettre. C’est un match nul, personne ne gagne. 

    Qu’est-ce que les autres pensent de nous? Mystère. On a beau leur demander, ça ne change rien; ils peuvent tout aussi bien dire le contraire de leur pensée et on ne le saura pas. Ils peuvent aussi nous dire la vérité et on en doutera. Mystère. Incommunicabilité. On est chacun sur sa planète se côtoyant à travers un espace sidéral… 

    Quoi, qu’est-ce qu’elle a dit la maîtresse? Le cahier bleu? Où ça? Je n’écoutais pas. Je suis toujours dérangé dans mes pensées.

    Alors on écrit quoi? PAPA A LA PIPE. Combien de fois, elle a dit? 

    Je ne sais pas comment font les autres pour rester attentifs tout le temps. Moi, je suis toujours distrait. Il y a trop de mouvement, trop de choses à penser; je suis là, j’essaie de me concentrer, mais c’est comme si je suivais un film dans ma tête en même temps. Dès que je suis sur le mode écoute, après un certain temps, j’entends de la musique, je vois des images, je suis transporté ailleurs. Ils appellent ça la lune. Possible. Je ne sais pas où, ni quoi, mais mon esprit et mon corps ne sont pas toujours au même endroit, en même temps. 

   À l’église, c’est pire encore. Comme il n’y a pas le stress d’être appelé subitement et atterrir sous les moqueries de mes camarades, je peux voyager en paix. Je soupçonne que je ne suis pas le seul, d’ailleurs. À voir les autres regarder le plafond, tourner la tête à gauche, à droite, tousser de temps en temps pour se tenir réveillés pendant que le curé sermonne, j’ai l’impression qu’ils ont mis leur corps en mode figuration, et sont partis, eux aussi, se promener. On dort debout aux histoires que nous raconte le prêtre En ce temps-là, Jésus... RRRRRRRR....  Un jour, Jésus... RRRRRRRR...   Une fois c’t’un gars... RRR... Hein, quoi? Un centurion... Ah! RRRRRR...

    À l’église, à l’école ou ailleurs, moi c’est toujours comme ça. Dès que je suis seul un instant, il arrive quelqu’un (!?) pour me parler dans la tête : Hé! Regarde ceci. As-tu vu ça? Pourquoi ceci? Comment cela? Et alors, je disparais, je deviens cet écureuil qui court, ce passager dans l’avion qui passe dans le ciel. Je m’imagine étendu sur la route quand l’auto passe, ou perché en haut de cet arbre comme l’oiseau qui regarde tout ça... Je suis partout, sauf là où je dois être. Il faut me toucher pour que je redescende. 
 
 
***
 
 
 

dimanche 22 novembre 2015



 CHACUN DE NOUS

 

Je m’adresse à vous, hommes de bonne volonté,
Vous qui souhaitez la paix dans le monde,
Le partage, la justice, l’harmonie.
 
À vous tous, sans frontières
Hommes d’honneur, de tout horizon,
De races et de confessions
Respectueux dans votre foi
 Qu’aucune religion ne dénature
 
Vous, qui allez votre chemin,
Sans militer, sans convertir, sans blâmer.
Sourds aux cris de la meute
Muets dans l’émeute,
Seuls responsables de vos actions
Seuls maîtres de vos convictions
 
Vous qui subissez des vôtres
Les appels à la haine,
La vengeance et l’indignation.
Vous qu’on traitera de naïfs,
Traîtres, dupes et lâches
Le Christ recrucifié
Par ces chrétiens
Traîtres, dupes et lâches
À leurs jugements
Pour suivre la troupe aveuglément


Vous, hommes de bonne volonté,
Vous êtes déjà des héros pour l’humanité
Le monde entier vous doit
Le peu de paix qu’elle a.
À vous, milliard de personnes
Que je viens de nommer
Je dis,
Persistez rayonnez  
 Irradiez,
Irradiez et le monde vous suivra
Irradiez et le monde changera.

Chacun de vous, c’est nous,
C’est le milliard que j’ai nommé,
Chacun de nous peut tout changer.
Nous sommes l’espoir de l’humanité.
 

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dimanche 15 novembre 2015


PROMENADE

  

Ô mon Âme
J’ai vu ce spectacle grandiose
Théâtre vibrant
Des êtres et des choses
Vu entendu touché
J’étais là, témoin de tout
L’espace d’un instant
Vivant privilégié
Une tranche d’éternité
Goûtant de tous mes sens
L’essence de l’existence
J’étais de cette promenade
Où nous avons été mon cœur
Seuls
Et si nombreux

 
Sur un chemin de campagne
J’allais 
Au milieu d’une toile admirable
Traversant un univers
D’éclairages fauves
D’huiles parfumées
Véritable tableau de grand maître
Où tout est là
Superbement dessiné
Tout est là déjà
On n’a rien à imaginer
Des jeux de lumière
Un son de rivière
Un chien qui aboie
Des roches des ronces des pierres
Arbrisseaux se bousculant
Entre les arbres fiers
Il ne manque que l’espace

 
Et la vie dans tout ça qui fourmille
Furets escargots fourmis
Étrangers l’un à l’autre
Impliqués l’un et l’autre
Me regardaient passer
M’attendaient même peut-être
Être vivant mon Âme  
Vivant
On devrait s’en étonner toujours

 
J’étais du décor
Exactement au centre de tout
En invité ou en intrus
J’allais
Chez moi et chez eux
Étranger des lieux
Petit voilier sur la mer
Fragile et audacieux
Mais toléré des dieux
Et je me disais
«Regarde mon âme
   Ce monde qui te reçoit
Il ne te doit rien
Tu lui dois respect
Apprends de lui la paix
Tous ces destins luttent et se côtoient
En contraintes et en contraires
Et pourtant
Rien ne déborde
Tous assujettis
Ordonnés dans le fouillis
Suivant
Ô mystère
  Quelque chose
  Comme un Grand Ordre »
 

Nous passions
Mon âme
Bêtes et béats
Bêtes sans être sots
Bêtes comme les bêtes
Qu’un ventre plein suffit
Félin alangui
 Presque végétal
Ah
Ne plus penser
Voir
Ne plus penser
 Sentir
Ne plus penser
Entendre
Ne plus penser
Être
Être spectateur attentif
Humble et discret
Oubliant un instant
L’idiote prétention
D’être dominant
On a de supérieur que la capacité de détruire
Les êtres les mieux adaptés
  Comme cette hirondelle qui vient de passer
Capable sur trois dimensions
De se mouvoir dans l’horizon
Un mouvement d’ailes
La voilà envolée
Laissant par terre
L’être lourd que je suis
Traînant comme boulet
Sa conscience vaine
Futilité
Dont toute la nature se passe

 
Je rentre de cette promenade
Comme on revient d’un cirque
Encore étourdi
Par tant de voltiges
Toujours ébloui
Devant le prodige
Et je comprends que la solitude n’existe pas
Il y a toujours le décor
Il y a toujours l’autour
Il y a moi qui parle
Il y a mon âme qui écoute
Nous sommes seuls
 Mais si nombreux

 
Vivant Vivant Vivant
On devrait s’en étonner toujours
De l’éternité juste un instant
Juste un instant
Et c’est bien suffisant

 

***

 

dimanche 8 novembre 2015


Le jour du Souvenir



Souvenons-nous que la guerre est l’échec de nos dirigeants.


Souvenons-nous que nos valeureux soldats sont d’abord des victimes.


Souvenons-nous de tous ces héros qui ont sacrifié leur vie pour défendre notre idéologie contre les barbares, ces hommes prêts à sacrifier leur vie pour défendre leur idéologie. 


Souvenons-nous qu’il y a des fous qui nous incitent à la guerre.


Souvenons-nous qu’en les suivant nous sommes tous responsables.

 
Souvenons-nous que la plus grande menace à l’humanité est l’humanité.


Souvenons-nous qu’on oubliera.


Souvenons-nous qu’on avait oublié, à peine vingt ans après.

 


***
 
 

dimanche 1 novembre 2015


 

La mort
 
 

    La journée est à peine commencée que j’ai déjà trois morts sur la conscience : une araignée et deux maringouins. 

    Ne riez pas, ce n’est pas drôle. La mort, ça rend triste. Ces bestioles que j’ai tuées vont manquer à quelqu’un des leurs : un enfant, un parent, un ami. Ils vont être là à l’attendre, à l’attendre, à l’attendre, mais elles ne reviendront jamais. Toutes les autres, les millions d’autres ne sont pas celles-là. Il y a sûrement un code entre elles qui les identifient, et un seul chiffre différent sur un million fait toute la différence. 

Sans moi, elles seraient encore vivantes. J’ai mis fin à leur existence pour toujours. Je trouve que c’est assez important et qu’il n’y a pas de quoi être fier.

    La mort c’est fatal, on le sait maintenant. Monsieur Morin est mort cet hiver. On a parlé d’une crise de cœur. C’est énervant ça. Le cœur bat – on ne comprend pas comment d’ailleurs, il est où le moteur? – et on vit, on rit, on s’amuse, on pleure, on se prend au sérieux, on se croit important, puis il pique une crise, il s’arrête, c’est fini. On n’est pas consulté, c’est lui qui décide.   

    Monsieur Morin, on l’aimait. Tout le monde l’aimait. Toujours gentil, toujours souriant, toujours impressionnant avec sa voix forte et douce. On le savait complice par ses clins d’œil, on pouvait se cacher dans sa cour et plutôt que de nous vendre il brouillait les pistes à nos poursuivants. Parfois même il se mêlait à nos jeux.   Il nous aimait. On sent ces choses-là. 

    Il avait tout du père Noël : la barbe, le rire, le ventre, la bonne humeur, la générosité.   À bien y penser, je ne serais pas surpris que ce soit lui. Faudra surveiller ça, Noël prochain.

Euh… non, on ne pourra pas, il est mort. 

    C’était peut-être seulement son frère au père Noël...

    Qu’est-ce que je dis là? Ça n’existe pas le père Noël.   Voyons donc, je ne suis pas un bébé. Monsieur Morin est mort, c’est ça que je veux dire. Mort pour toujours. Tout le monde était triste. Sans lui la rue est vide, défigurée, un parc sans arbres. 

    Malheur! Pourquoi fallait-il que son cœur pique une crise, aussi? Tout allait bien. Le matin, on lui avait envoyé la main alors qu’il pelletait son entrée. 

    — Encore toute une bordée, hein? lui a lancé mon père.

    — Oui, pis elle est pésante! Ça lâche pas cet hiver. On sait pu où la mettre.

    — Vous devriez pas vous éreinter après ça. Si je devais pas aller travailler à matin, je vous donnerais un coup de main. Charles pourrait peut-être vous aider (de quoi je me mêle, je suis bien trop petit!).

    — Non, non, laisse-le s’amuser, il est trop petit (bon, qu’est-ce que je disais) ça me fait un peu d’exercice.   C’est juste bon pour moé ça, lui a-t-il dit en pointant son ventre, avant de se mettre à rire comme le père Noël. Ho! Ho! Ho!   
(Faudra quand même surveiller ça, Noël prochain... pour en avoir le cœur net.)

Le matin, il nous jasait dans son entrée. Le midi, une ambulance est arrivée devant chez lui. Le soir, un grand malheur immobilisait la vie. Même la neige, qui se sentait probablement un peu responsable, avait cessé de tomber. 

Les gens au lieu de mourir devraient s’en aller, nous dire qu’ils partent en voyage, nous envoyer la main À bientôt! Puis on s’habituerait à leur absence. On les penserait heureux. Sûrement très heureux pour qu’ils ne reviennent jamais. 

     Ce serait pareil, mais ce serait mieux.
 
 
***


 

dimanche 25 octobre 2015

 

Le Frankenstein en nous
 

 
   La cryogénisation : pas sûr que ce soit une bonne idée. Il ne faut pas confondre la mort avec le coma. Le coma n’est qu’une perte de conscience, le souffle y est toujours, et ainsi de même l’histoire et la personnalité du sujet. Mais lorsque la vie a quitté la chair, la conserver ne préservera que les tissus, l’âme, elle aura disparu. Si on ranime un jour le corps, c’est une nouvelle vie qui l’animera. Une nouvelle entité, donc.

   L’enveloppe corporelle n’est rien des gens qu’on aime, c’est l’attention, l’intérêt qu’on nous porte qui nous font aimer cette personne. La personne atteinte d’Alzheimer, au dernier stade, c’est une étrangère. Le physique nous la rappelle, mais elle n’est plus là.

   C’est ce que je crains dans ce procédé : une momification technologique, une greffe, en fait, d’un corps entier sur une âme inconnue. On devrait plutôt chercher à pixéliser, encoder informatiquement la psyché d’une personne, et sous l’avatar on retrouverait davantage, je crois, l’être aimé. Car c’est bien le caractère unique d’une personne qui fait cette personne. Le corps n’est que le terminal de toutes les ondes et la lumière de l’esprit.

   En passant, cette recherche est bien contraire à toute spiritualité qui veut que l’âme soit distincte du corps. Pour des croyants, cette admission est troublante...


   Laissons les morts reposer en paix, ils ont eu leur tour. Maintenant disparus, ils brillent par leur absence et sont souvent magnifiés, comme jamais ils ne l’ont été de leur vivant. En revenant, ils auraient un bien mauvais rôle : celui de zombie.

   Laissons-les vivre leur mort.


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dimanche 18 octobre 2015

 
BÉNÉDICITÉ
 
 
 
Passons à table mes amis !
C’est un jour heureux, nous sommes tous réunis
Mangeons, buvons, rions
En ce jour de félicité
La table est pleine, il ne manque personne.
Profitons de nous voir ensemble
Mangeons, buvons, rions
Mais, s’il vous plaît !  Je ne veux rien entendre
Des malheurs et de vos ennuis
Vos chagrins ou discours aigris
Je ne veux entendre que poésie
  Beaux discours et philosophie
Mangeons, buvons, rions
 Sans nous laisser distraire
Par des propos contraires
On enviera longtemps ce jour béni
Où nous sommes si près de nos amis
Ne nous mettons pas à distance
Par nos trop rares différences
Mangeons, buvons, rions
Profitons de notre chance
En nous rappelant désormais
Que le bonheur, c’est maintenant ou jamais
 Qu’un autre jour il n’y aura rien de plus regrettable
Qu’ici même, une chaise vide
autour de la table
Mangeons, buvons, rions
Aujourd’hui, c’est un jour heureux
Nous voilà encore tous réunis
Et une autre fois, je vous le dis
Je ne veux rien entendre qui ne soit poésie
Beaux discours ou philosophie.
 
 
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