dimanche 15 novembre 2009

Lettre à un changeur de monde



Laisse un peu l’humanité se reposer; changer le monde c’est épuisant. Laisse l’idiot, idiot, le malin, malin, la victime, victime, le soleil se lever, se coucher, laisse un peu la terre tourner.

L’oiseau que tu as nourri ce matin, le chat l’a mangé ce soir. Celui-là même que tu as recueilli et qui se fera écraser dans la rue demain. Ce n’est toujours qu’un peu d’eau que tu retiens dans tes mains; le ruisseau n’en perd rien. La jolie fleur que tu as coupée, tu la regardes mourir dans le pot. Elle meurt que tu l’aies aimée. À ta fiancée, n’offre pas de fleurs, amène-la plutôt au jardin.

Le monde n’est pas à changer; il se change lui-même. Le tyran est remplacé par l’empereur, l’empereur par la junte, la junte par la clique, la clique par les autres qui les dominent, et tous ceux-là te commandent.

Il y a mieux, il y a pire. Il y a vivre et laisser vivre, faire et laisser faire. Mais tout ça ne t’est jamais possible quand tu dois changer le monde. Faudra faire la guerre pour avoir la paix, tuer pour sauver des vies, bouleverser l’ordre établi pour en établir un autre que d’autres générations voudront renverser. Le monde, finalement, reste bien constant; se fait, se défait, se refait; il évolue à peine, aux mille ans.

Changer le monde, c’est mêlant. Il y a ceux qui le veulent comme-ci, les autres qui le veulent comme-ça, et l’immense majorité qui ne savent pas ce qu’ils veulent. Il y a toujours des bons côtés et des mauvais, des avantages et des inconvénients. Il y a toutes ces Révolutions qui passent en fulgurance, mais l’Évolution en escargot n’avance qu’à son rythme, qu’un peu aux mille ans. Elle prend son temps.

On veut le faire évoluer plus vite. Mais comment, et par où aller ?
Pourquoi, sur cette planète, l’homme devrait-il évoluer plus rapidement ? L’âne et le cheval d’aujourd’hui, ne sont pas d’une autre époque, ils sont biens contemporains. Ils se contentent d’évoluer un peu à chaque mille ans.

L’humanité n’est jamais aussi bien que quand elle vit sans guerre, sans crise économique, sans épidémie ou catastrophe naturelle. Ce que l’évolution n’apporte pas, bien au contraire. L’Homme, hélas, me semble toujours le même singe qu’il y a dix mille ans aux prises avec sa conscience, ses besoins, ses carences, sa cupidité, sa vanité, ses éclairs de génie, et ses longues nuits d’ignorance. Les sociétés humaines restent à peu près toujours les mêmes, avec ses classes de riches, de pauvres, de puissants, d’exploités. La démocratie est une lente évolution qui ne permet jusqu’à maintenant qu’à choisir ses exploiteurs.

À notre époque savante et technologique avancée, nous battons les records de la faim dans le monde : un milliard de nos semblables ne trouvent pas de quoi manger. Chez les animaux on s’inquièterait d’une espèce en voie de disparition. Pendant qu’on visite la lune et mars, une bonne partie de l’humanité, vit encore au Moyen-âge. Je ne crois pas que nous soyons moins barbares, peut-être un peu moins exposés à l’être, c’est tout. Dans les prisons on torture toujours, mais au confort de l’air climatisé. Voilà, seulement, où nous avons évolué : plus au confort.

Le monde (occidental) est plus au confort qu’avant mais est-il plus heureux que ses ancêtres d’il y a deux mille ans qui mangeaient, buvaient, baisaient tous les jours? Mais on mourrait plus jeune. Et puis ? Maintenant on passe vingt ans de plus… à soigner qui son cancer, qui sa démence, qui sa détresse : on dégénère plus longtemps, c’est tout. Voilà, seulement, où nous avons évolué.

Évoluons, même si ce n’est pas toujours par en avant, évoluons, mais lentement. Apprécions l’animal en nous.

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P.S. : Et si jamais, il te faut absolument voir un monde différent, essaie de te changer un peu toi-même. C’est incroyable comme le monde n’est pas pareil quand on tombe en amour. Ou quand on s’adonne à la poésie.


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