Ennemis
en vue
-
Les ennemis!
-
Où ça?
-
Partout.
-
Qui ça?
-
Les autres là. Tire!
Tire!
-
Mais pourquoi?
-
Mais parce que ce
sont des ennemis.
-
On ne les connaît
même pas.
-
On s’en fout, ce
sont des ennemis. Ils sont dangereux, faut se défendre. Allez, tire.
-
Mais qu’est-ce
qu’on fait dans leur pays?
-
Ben voyons! On
défend la Paix, la Justice, la Liberté. On est en mission humanitaire. Envoye
tire!
-
J’comprends pas.
-
T’as pas à
comprendre. T’es un soldat, tu tires
quand on te le dit, et t’arrêtes quand on te le dit. Les ennemis, c’est
toujours des méchants, d’ailleurs le mot le dit : « Ennemi ». Bon, envoye, tire!
-
Pourquoi ils nous
en veulent?
-
Parce qu’ils sont
jaloux, imbécile! Ils nous envient, ils veulent nous enlever ce qu’on a. Mais c’est à nous, on l’a pris avant
eux.
-
Mais, mon
colonel, êtes-vous bien sûr qu’ils n’y ont pas droit?
-
C’est quoi ton
problème? Es-tu de leur côté? Ils sont
ennemis à l’État. Tu dois défendre ton pays. Allez, tire, et cesse de poser des
questions.
-
D’accord, mon
colonel. Mais je crois qu’avec les armes qu’on a, on va faire pas mal de
dommage…
-
Oh oui. Ils vont
en manger une maudite.
-
Il va y avoir des
morts parmi les civils, mon colonel : des femmes et des enfants.
-
Dommages
collatéraux.
-
Il y a des
hôpitaux dans le coin, il va y avoir des bavures.
-
Dommages
collatéraux.
-
On risque
d’atteindre nos alliés qui sont tout près.
-
Dommages
collatéraux.
-
Il va y avoir des
dommages collatéraux, mon colonel.
-
Dom... euh… Ah,
puis à la guerre comme à la guerre. La fin justifie les moyens. Qui n’ose rien,
n’a rien. À bon chat, bon rat Quoi? Bon, de toute façon, on va la gagner cette
foutue guerre. Penses-tu que nos dirigeants, c’est des cons !
-
…
-
Attention à ce
que tu vas dire. C’est le peuple qui les a élus. C’est pas tous des cons, le
peuple. Ils ont élu démocratiquement un des candidats que les grandes
corporations leur ont présentés. On est un pays libre, NOUS.
-
Je ne dis pas ça
mon colonel. Je dis juste qu’on était en pays ami ici, il n’y a pas si
longtemps. On leur vendait des armes. Nos dirigeants faisaient des affaires
avec eux.
-
Ouais! Mais les
affaires ont foiré. Il y a des têtes fortes qui s’en sont mêlées, pis là ils ne
veulent plus rien entendre. Alors, c’est là que nous on intervient. Pour leur
mettre un peu de plomb dans tête.
-
Et on s’attaque à
tout le monde plutôt qu’à ces quelques têtes fortes?
-
C’est comme ça. C’est
la guerre. Ils veulent se défendre? Eh, bien on va les attaquer! Crois-moi, ils
vont finir par comprendre. On va la gagner cette guerre. Et après ce sera fini, on rentre chez nous.
-
Vous croyez mon
colonel?
-
Bien sûr,
puisqu’on aura gagné.
-
Mais on va
laisser des jeunes frères, des veuves, des orphelins…
-
Que veux-tu insinuer?
Qu’il faudrait tous les exterminer? Hé! C’est un peu radical ça, mon jeune.
-
Non, je veux dire
qu’au lieu que ce soit quelques têtes fortes qui nous en veulent, maintenant ce
sera tout un peuple. Avant ils s’en foutaient de nous. Mais là ils auront de la
haine et des vengeances à transmettre à leur descendance. Des raisons
viscérales de nous en vouloir. Et ça reprendra.
-
Ouais… Les exterminer tous… Pas fou, ça.
-
Mon colonel…
-
Ça suffit! Assez
parlé. On tire.
-
Mon colonel…
-
Ta gueule, j’ai
dit. Tire. Feu à volonté! Tiens! Tiens! Ha! Ha! Ha! Regarde-les tous tombés, ces
pourris!
-
Mon colonel, on a
reçu une dépêche de l’état-major. Ne tirez plus. Il y a eu entente. Les
affaires ont repris. Ne tirez plus. Ils sont avec nous. Ne tirez plus, mon
colonel.
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