dimanche 6 avril 2014


Jouer


 


   Laissez donc les enfants tranquilles! Arrêtez de leur mettre des jouets dans les mains. Des jouets bêtes avec ça. Des scénarios déjà tout conçus. Ou bien des jouets intellectuels ne faisant plaisir qu’aux parents. Pire encore, des jouets « désexualisés », « non traditionnels », genre des camions aux petites filles, des fours à cuisiner pour les gars... Que pensez-vous ils vont faire avec ça? J’ai eu un copain qui a reçu ça comme cadeau de Noël;  on a mangé tous les mélanges à gâteaux à même les sachets dans une seule journée. On ne s’est servi du four que plus tard pour faire brûler des bibittes.   Des camions! Vont faire quoi, les filles avec ça? Les laver? Les décorer? Elles ne savent même pas faire vroum vroum....   Nous, c’est pas long qu’on te les salit, on te les bardasse, on fait des accidents, on les démolit. Bref, on joue avec, PARCE QUE CE SONT DES JOUETS DE GARS. Une fille, ça reste une fille. Les jouets n’y changeront rien, et c’est très bien comme ça. On en veut des filles... mais plus tard. Pas pour l’instant.

   Laissez-nous jouer comme on l’entend. Laissez-nous seuls un peu. Laissez-nous avec rien : un bout de bois, du carton, de la ficelle. Taisez-vous, tassez-vous, laissez-nous, on est en train de créer. Occupez-vous de vous! Vous en avez grand besoin.


    Les jouets « transsexués » ne changeront jamais les comportements, c’est dans la génétique. Jouer à la guerre avec des filles c’est infiniment pas la même chose.    C’est plate!   Déjà, elles pensent plus à l’infirmerie qu’au quartier général. Dans les bunkers, c’est tout de suite les mamours plutôt que la stratégie militaire. Tous les enfants savent ça. Il n’y a que les parents qui ne comprennent pas, à qui faut tout expliquer...
 

   Mais on n’a pas le temps, ça tire de partout. Déjà François est dans l’arbre, il va s’emparer du drapeau. La bande à Louis se faufile à travers les poubelles, je reçois des pois derrière la tête, une balloune d’eau vient d’éclater tout près...

   — Charles, viens souper!

   Pas le temps. C’est la guerre. Qu’est-ce qui m’a foutu cette sentinelle endormie? La petite Laporte, qui s’est mise dans la tête de m’aimer, qui ne sait pas tenir un fusil, qui ne sait pas se battre... Sarah, ouais, Sert à rien!

   — Charles, ta soupe va refroidir! J’te le dirai plus.

   Combien de fois, déjà? Trois fois. C’est bon, d’habitude c’est à cinq qu’elle se fâche, il me reste encore un coup. J’ai peut-être le temps de rattraper François, le faire tomber. Pour ça, il faut lui lancer ma bombe d’eau, mais j’peux pas, ma sœur est tout près. Qu’est-ce qu’elle fait là sur un champ de bataille? Elle va être éclaboussée, elle va crier et ça va finir en hécatombe, déjà que maman est rendue à trois. Trop dangereux. Faut que je le prenne par-derrière, mais comment éviter la bande à Louis?   Comment me protéger?   Et je ne peux quand même pas abandonner Sarah à ces sauvages...

                                               Ah, oui, je peux.

   — Charles, ça fait cinq fois que maman te’l dit, attends un peu...   

   Comment ça cinq fois? Oh, non!!! Dans toute cette fureur, je n’ai pas bien compté. Ça s’est mal terminé, un vrai carnage.


   Heureusement que des larmes, ça réchauffe un peu la soupe.                                        

 

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