dimanche 28 février 2010

JOUR DE BUANDERIE
Satire

Tableau II

C’est là un lieu public où la plèbe fourmille
Venant y laver son linge sale en famille.
Le papa, la maman, les enfants, le chien même,
Y défilent bras chargés, contents, sans problème
Dans ce fief de Germaines, la gent lavandière,
Qui, savon en main, plantées en front de bandière
Devant leur machine s’activent, frottent, détachent,
Manches retroussées, courant sus aux fortes taches.
Celle-ci, penchée sur son lot, la tête hérissée
De deux cents bigoudis aux cheveux bien vissés,
S’emploie à plier en petits paquets carrés
Des serviettes aussi laides que bigarrées
Ces deux-là lancent en l’air, comme pour couvrir un lit,
Une couverture que, bout à bout, ensuite plient.
Cette autre-ci, courbée, voilà qu’elle déboule
En poursuivant au sol une monnaie qui roule.
Tout près, sur mon banc, trois nouvelles connaissances
S’échangent toute leur vie, ce, depuis leur naissance ;
Chacune y allant de franches banalités
Sur leur pauvre sort, la dure réalité.
Elles placotent et caquettent comme des poules,
S’exhibent cicatrices, verrues et ampoules.
Mais à ma droite : autre banc, autre langage !
Deux dames, marquises de ruelles, s’engagent
À me tordre l’esprit de leurs propos aigus
En rendant les phrases pompeuses et ambigües.
Elles se cherchent en tout une certaine élégance
S’émeuvent, se pâment, se flagornent à outrance.
Le cou dressé, pinçant le bec comme deux oies
S’effleurent la main quelquefois du bout des doigts,
Initiant l’autre à un secret des plus prisés
Qui lui tire un cri ou un rire diésé.
De ce méchant portrait, vite bornons le cours
Je veux de cette scène épicer mon discours :
Deux mégères, l’œil en coin, convoitaient une sécheuse
Qui bientôt serait libre et ferait une chanceuse.
Avant même que l’autre eût fini de tout vider,
Pour prendre possession, eurent la même idée ;
Et l’on vit des vêtements voler des deux parts
Atterrir dans la cuve en guise d’étendard.
S’injuriant et voulant remporter l’avantage,
Linge après linge ainsi lancèrent tout leur lavage.
De l’engin chacune s’octroyait la conquête
Et sommait l’adversaire de battre en retraite.
Se mirant, face à face, les poings sur les hanches ;
On crut, un moment, assister à une manche.
Une gaupe intervint, mais en en appuyant une,
Se fit dire par une autre qu’elle était importune.
Une autre encore s’en mêla, puis une autre aussi,
À la fin deux clans rivaux se formèrent ainsi
Transformant cette laverie en pétaudière
Et dans un marasme la plongeant toute entière.
Pendant que la rage leur découvrait les dents
Le tenancier, homme sage mais peu prudent,
Vint au centre d’elles, comme jadis Salomon,
Refroidir les esprits de ses bouillants sermons.
« Ô pécores, dit-il (on voyait qu’il parlait bien),
Entre-t-il tant de haine en vos maternels seins ?
Puissent-ils à la fois nourrir bébés et serpents ?
Calmez vos transports, je vous prie, au plus coupant.
Il vous sied mal, femelles, ce ton disgracieux,
Pensez à vos enfants ! Cachez vous de leurs yeux.
Sur ces faibles esprits les exemples font loi.
Et ceux que vous offrez sont fort mauvais, ma foi !
Car enfin, mesdames, mes sœurs, mais pensez donc
Que dans toute bataille on ne s’arrange onc.
Même gagnant on perd gros, sauf peut-être l’orgueil
Qui de la raison trop souvent arrache l’œil.
Voyez donc dans vos luttes lavandièricides
L’impertinence fâcheuse qu’elles décident :
Pour gagner minute sur l’autre, petites gens,
Vous perdez votre temps et je perds mon argent. »
Cette brève mais cinglante admonestation
Fit l’effet d’une certaine accommodation ;
D’un commun accord, elles convinrent sur un point
L’entrer dans la cuve avec le linge à coups d’poing.
Or, voyant en quel péril il s’était conduit,
Il proposa, in extremis, un tour gratuit.
Ce qui mit fin à la querelle des féroces ;
Un séchage commun, gratuit, et sans négoce.


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